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zèle des chefs à les relever aux yeux de leurs soldats, à les soutenir, à les attacher au drapeau, à cette famille militaire du régiment. Tout ceci est une affaire de soin, de dévoûment, d’une action intelligente, d’une application des règlemens combinée de façon à raviver l’esprit militaire. Et le volontariat lui-même, que devient-il ? Ici, rien n’est plus clair, si on n’y prend garde, une institution sur laquelle on comptait est tout près d’être compromise, si bien qu’on commence à en demander la suppression. Est-ce donc que l’institution soit par elle-même défectueuse ? Nullement, mais il est de plus en plus évident qu’elle n’est pas toujours comprise, qu’elle est souvent détournée de son but, et qu’elle subit dans la pratique une double altération.

D’abord, — les faits et les chiffres qui sont publiés chaque jour le prouvent, — cette faculté d’engagement conditionnel est accordée trop légèrement. Elle est étendue même à des jeunes gens illettrés qui ont pu donner 1,500 francs, mais qui ne réunissent aucune des conditions nécessaires pour acquérir une instruction suffisante en peu de temps, de telle façon qu’après un an on se trouve dans cette alternative : ou bien, par une sorte de prolongation de l’abus qui les a fait admettre, il faut les laisser partir sans qu’ils aient l’instruction militaire qu’ils devraient avoir, ou bien il faut leur infliger une seconde année de service qu’ils trouvent dure, qu’ils ne s’expliquent plus après avoir payé pour ne rester qu’un an sous les drapeaux. Il y a un point bien plus grave, c’est la différence dans la mise en pratique du volontariat selon les régimens. Il y a des corps où les volontaires, sauf aux heures d’instruction particulière, sont confondus avec les autres soldats, vivant sous la même discipline, faisant les mêmes corvées, mangeant ensemble, s’accoutumant à cette communauté de tous les instans, rude et salutaire école où la camaraderie militaire rapproche des jeunes gens de toutes les classes. Il y a d’autres corps où, par une complaisance peu prévoyante, on passe aux volontaires bien des libertés ; on leur permet d’avoir un logement en ville, de manger à part, ils se déchargent de leurs corvées, ils restent pour les autres soldats ce que les loustics du régiment appellent « les 1,500 francs. » Dès lors il n’y a plus ni le lien vigoureux d’une discipline fortifiante, ni cette communauté de vie où les rangs se confondent, où il n’y a plus que des soldats. Dès lors aussi disparaît l’efficacité morale et sociale d’une institution qui à la longue, en faisant passer des générations successives sous le drapeau, pourrait avoir une influence salutaire et féconde. Si l’on veut voir ce que peut être le volontariat pour une nature droite et saine, on n’a qu’à lire ce petit livre, Journal d’un volontaire d’un an, écrit avec une franchise mêlée de finesse par un jeune homme, M. René Vallery-Radot, qui a fait bravement et honnêtement son service. Le jeune volontaire était à bonne école, au camp d’Avor. Là on n’a pas sa chambre en ville, on vit au régiment, on prend sa part de corvée, on fait au besoin son étape de 50 kilomètres