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déserteur du drapeau. Ce malheureux jeune homme, arrivé à Paris le 19 mars, nommé aussitôt chef de légion, puis chef d’état-major de Cluseret, président d’une cour martiale et bientôt délégué à la guerre, Rossel était évidemment le spécimen le plus curieux d’un esprit fanatisé et troublé par les événemens. Il avait la naïveté de prendre tout cela au sérieux, de vouloir organiser, et après quelques jours passés à se débattre dans le vide il finissait en rudoyant la commune, en demandant avec hauteur « une cellule à Mazas. » Alors c’était non plus la guerre des militaires, mais la « vraie » guerre, la guerre du peuple, conduite par un délégué civil, Delescluze. La confusion ne faisait que s’accroître, de sorte que le jour où le choc décisif allait éclater, ce n’était pas seulement la lutte de la société tout entière contre une révolution désespérée, c’était la lutte de l’organisation contre la désorganisation, et c’est ce qui faisait que M. Thiers, par une patiente et prévoyante reconstitution de l’armée, avait plus qu’à demi décidé la victoire. Le reste n’était plus que l’affaire d’une exécution prudemment combinée et résolument conduite.

La question, à vrai dire, n’était plus douteuse dès la fin d’avril, dès que l’armée de Versailles, définitivement organisée, pouvait entrer en action avec ses cinq corps, appuyés par l’armée de réserve de Vinoy. A partir de ce moment, tout marchait lentement encore, si l’on veut, mais avec une sûreté méthodique et irrésistible. Tandis que la cavalerie du général Du Barail allait jusqu’à Juvisy couper les dernières communications de Paris avec la province, le 1er corps Ladmirault, avec ses trois divisions Grenier, Laveaucoupet et Montaudon, s’avançait, sous la protection du Mont-Valérien, par Neuilly et par la presqu’île de Gennevilliers. Les divisions Levassor-Sorval, Susbielle et Lacretelle du 2e corps de Cissey, secondées par la division Faron de l’armée de Vinoy, s’engageaient par Meudon, Clamart, le val Fleury, contre le fort d’Issy, qui ne laissait pas d’être vigoureusement défendu. Et maintenant chaque heure comptait un progrès. Un jour, c’était la position de Bécon ou Asnières que les divisions de Ladmirault enlevaient avec vigueur, refoulant les insurgés sur la place. Un autre jour, c’était le corps de Cissey qui, après une série de brillans combats et de travaux de tranchée, réduisait le fort d’Issy. On était au 9 mai. Issy une fois tombé, le point d’attaque choisi d’avance cessait d’être couvert. La partie de l’enceinte du Point-du-Jour devenait abordable, et une puissante batterie de 70 canons disposée sur les hauteurs de Montretout se chargeait de nettoyer les abords de la place, d’ouvrir la brèche, au risque de détruire le Point-du-Jour. Sous la protection de cette batterie, le 4e corps de Douay pouvait s’avancer par le bois de Boulogne,