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pendant ces quelques semaines entre le 20 mars et le commencement de mai. « Ce sont les plus mauvais jours de ma vie, » a-t-il dit lui-même, et à coup sûr il ne devait pas être à l’aise au milieu des embarras de toute sorte, intérieurs ou extérieurs, visibles ou secrets, qui venaient l’assaillir à toutes les heures.

Ramené violemment à Versailles, réduit dans le premier moment à une inaction qui n’était qu’apparente et qu’on ne s’expliquait pas toujours parce qu’il ne pouvait pas toujours tout dire, pénétré de la nécessité de ne plus rien risquer avant d’avoir reconstitué des moyens suffisans d’action, M. Thiers avait à faire face de toutes parts. Il avait Paris devant lui, et dans ce Paris il n’y avait pas seulement des insurgés à combattre, il y avait les négociateurs, les pacificateurs, tous ceux qu’il aurait voulu et qu’il ne pouvait soutenir, qui lui reprochaient le départ du gouvernement et des troupes comme un abandon, presque comme une trahison. Paris était déjà une grande préoccupation, et elle n’était pas la seule. Il fallait songer au pays, il fallait empêcher le mouvement de se propager. Sans avoir des chances sérieuses de s’étendre, la commune avait de l’écho dans quelques centres de sédition, à Lyon, à Marseille, à Saint-Étienne, à Narbonne, à Toulouse. Il fallait se hâter de la cerner dans ces foyers de contagion révolutionnaire, la vaincre au besoin par la force, réprimer des attentats comme le meurtre du préfet de Saint-Étienne, l’infortuné M. de L’Espée. C’était le plus pressé, et, ce danger écarté, la province paisible, elle aussi, demandait à être rassurée ; elle s’inquiétait de voir durer une insurrection dont elle ne se rendait pas compte. Il fallait lui parler, la fortifier, l’exciter à la confiance.

Ce n’est pas tout. A Versailles même, où se concentrait l’action politique, M. Thiers avait auprès de lui une nouvelle commission des quinze nommée le premier jour de la réunion de l’assemblée, le 20 mars, pour seconder le pouvoir exécutif. La commission des quinze avait certes les meilleures intentions et les préoccupations les plus légitimes des dangers de la crise qu’on traversait ; elle ne laissait pas néanmoins de se montrer un peu impatiente, un peu agitée dans son concours. Elle avait un peu trop l’idée qu’elle devait entrer en partage du gouvernement. A tout propos, elle arrivait à la préfecture portant ses impressions, ses observations, ses remontrances et quelquefois ses exigences. Tantôt il s’agissait de renouveler au plus vite tous les préfets, tantôt il fallait modifier les commandemens militaires. Un instant même, dans une délibération intime, on proposait la nomination d’un généralissime « ayant une autorité indépendante du ministère. » M. Thiers ne répondait pas toujours, ou il répondait que « l’assemblée ne saurait empiéter sur les conditions de liberté absolue indispensables à l’action du pouvoir exécutif, » et