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déroute. A Châtillon Duval se heurte contre la brigade Derroja. Sur tous les points les insurgés sont battus ; mais ils restent maîtres de Châtillon, et maintenant, pour la troisième rencontre, c’est l’armée de Versailles qui attaque le 4 au matin, qui enlève vivement cette position menaçante de Châtillon-Clamart. Elle fait 1,500 prisonniers ; Duval lui-même est pris les armes à la main et fusillé.

A Châtillon, à Meudon, à Courbevoie, le résultat est décisif, Versailles est maintenant à l’abri de toute insulte, et même l’issue définitive de la lutte est déjà, on peut le dire, dans ces trois journées. Seulement, à voir l’ardeur des bandes fanatisées de l’insurrection, la puissance des moyens d’action mis par le hasard d’une échauffourée entre les mains d’impitoyables sectaires, il devenait clair à tous les yeux qu’il ne s’agissait plus de quelques coups de main heureux, d’une répression ordinaire. Il y avait désormais deux camps en présence : d’un côté Versailles, le gouvernement légal, l’assemblée nationale, la France, l’armée obligée de ramener à des combats de guerre civile un drapeau en deuil ; d’un autre côté Paris avec sa garde nationale, avec sa population trompée ou opprimée, avec son armement, avec son enceinte et ses forts avancés d’Issy, de Vanves, de Montrouge, d’Ivry. C’était une lutte de deux mois avec toutes ses nécessités, avec toutes ses conséquences. C’était l’épreuve d’un second siège pour Paris, d’une longue et cruelle anxiété pour la France réduite à se défendre d’une dissolution complète, à se ressaisir elle-même sous les yeux et peut-être sous le bon vouloir de l’étranger, spectateur intéressé de nos désastres.

Tout est là. Pendant deux mois, Paris est au pouvoir de factieux vulgaires qui n’ont même pas l’excuse d’une idée quelconque, fût-elle excentrique et audacieuse. Ce sont des parodistes de toutes les scènes révolutionnaires, qui sont d’une désastreuse médiocrité d’esprit. Ils ne peuvent pas même se faire la moindre illusion d’un succès possible, puisque, s’ils réussissaient, ils tomberaient aussitôt devant l’étranger qui soufflerait sur leur domination ; mais ils ont Paris et ses immenses ressources. Ils jouent au gouvernement, ils sont dans les ministères et à la police ; ils prennent des otages, abattent la colonne Vendôme devant les Prussiens et donnent des concerts aux Tuileries. Ils se hâtent de dévorer leur règne éphémère, et c’est devant ce pouvoir inauguré dans le sang, destiné à finir dans le sang et dans l’incendie, que la France se trouvait arrêtée depuis le 18 mars. Les difficultés étaient pour tout le monde assurément ; elles étaient surtout pour le chef du pouvoir exécutif dès la première heure de sa rentrée à Versailles, et je ne sais en vérité s’il y eut jamais pour un gouvernement, pour un homme personnifiant ce gouvernement, une situation plus compliquée, plus dramatique, plus pénible que celle où M. Thiers avait à se débattre