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Évidemment, si on l’avait pu, ce qu’il y aurait eu de mieux eût été de gagner quelques jours, d’attendre les prisonniers d’Allemagne pour avoir des troupes plus solides ; mais le temps pressait, et lorsque, le 17 au soir, les divisionnaires de l’armée de Paris se réunissaient chez le commandant en chef dans un dernier conseil de guerre, le général Susbielle avait beau déclarer de nouveau qu’il doutait de la sûreté de ses régimens, c’était un avertissement inutile. Le gouvernement avait décidé l’action, des ordres avaient été déjà donnés pour la nuit ; il n’y avait plus qu’à marcher et à faire de son mieux.

La fatalité s’en mêlait, j’en conviens ; il fallait agir ou abdiquer. Ce n’était pas moins une sorte d’aventure de tenter une opération si grave, si délicate, sans avoir à compter même sur un appoint de garde nationale que les chefs les plus dévoués n’osaient promettre, avec une armée douteuse ou insuffisante, contre des positions formidables. Aller enlever près de 200 pièces d’artillerie entassées, étagées de la place Saint-Pierre au sommet de la butte Montmartre, plus de 100 autres canons aux buttes Chaumont et à Belleville, au milieu de quartiers populeux, centres désignés d’insurrection, — occuper stratégiquement Paris, garder les communications et les points menacés, il s’agissait de faire tout cela ! La brigade Bocher avait l’ordre de se tenir aux Invalides et à l’École militaire ; on laissait un régiment aux Tuileries, un régiment au Luxembourg, un régiment avec le général Derroja à l’Hôtel de Ville. De la division Maud’huy, la brigade Henrion gardait la Cité et les ponts, la brigade Wolf occupait la place de la Bastille. Restaient les deux grandes citadelles à emporter. Le général Faron, qui avait déjà une de ses brigades, celle du général Daudel, dans les forts du sud et au Mont-Valérien, devait se porter avec une partie de sa division sur Belleville, tandis que la brigade Lamariouse enlèverait les buttes Chaumont. La division Susbielle était chargée de Montmartre. Les deux brigades Paturel et Lecomte, s’avançant par l’avenue de Saint-Ouen et le boulevard Ornano, devaient tourner la butte, gravir les pentes opposées et se rejoindre sur la hauteur, en se reliant avec Paris par l’ancien boulevard extérieur, où se tiendrait le général Susbielle avec un bataillon de chasseurs. Des attelages, momentanément laissés à la place de la Concorde, devaient arriver au premier signal pour enlever les canons dont on aurait repris possession, Pour éviter autant que possible l’émotion populaire, l’ordre était d’engager l’opération avant le jour, et en effet à la fin de la nuit l’armée tout entière se mettait en marche. Le 18 mars, à cinq heures du matin, les colonnes abordaient les positions. Avant sept heures, le mouvement semblait avoir réussi partout, sans