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du 24 février, elle était fixée et organisée ; elle se trouvait constituée sous la forme de ce « comité central, » qui était la condensation de tout le travail démagogique du siège, le résultat de la fusion d’une multitude d’affiliations incohérentes, unies seulement dans une pensée d’agitation. Pendant que Paris se débattait dans la confusion, le comité agissait. Il dirigeait des manifestations sur la place de la Bastille, où apparaissait déjà le sinistre emblème de la guerre civile, le drapeau rouge. Il essayait son pouvoir sur la garde nationale en la flattant dans ses ressentimens, dans ses instincts d’indépendance, en s’efforçant de l’enlacer dans les liens d’une fédération révolutionnaire. A l’approche de l’entrée des Prussiens, au moment de cette crise où une partie de la population courait avec un patriotisme enfantin ramasser les canons sur les remparts, au Ranelagh, au parc de Wagram, pour les soustraire, disait-on, à l’ennemi, le comité s’emparait habilement de l’émotion publique et réussissait à faire transporter cette immense artillerie à la place Royale, aux buttes Chaumont, à la butte Montmartre. Il saisissait l’occasion de s’affirmer audacieusement dans un deuil national, de sorte qu’au lendemain de l’apparition des Allemands dans les Champs-Elysées et de la ratification de la paix l’insurrection était déjà toute constituée. Elle avait son armée, son artillerie, ses munitions pillées un peu partout, ses quartiers-généraux, ses chefs, son organisation, en face d’une autorité régulière désarmée et impuissante, au milieu d’une ville irritée et sceptique qui assistait à ses propres misères comme à un spectacle, qui semblait plus disposée à laisser tout faire qu’à se défendre.

C’était assurément une situation pleine de périls, et elle pouvait être d’autant plus grave qu’elle se compliquait visiblement de redoutables malentendus, que Paris inspirait des défiances, que le nouveau gouvernement chargé de tenir tête à l’orage était loin. Le danger, pour le moment, il était sans nul doute à Paris, il était aussi à Bordeaux de deux manières. D’abord, — pourquoi ne pas le dire ? — l’assemblée nouvelle, la majorité de cette assemblée aurait pu se montrer mieux disposée ou moins froide pour une ville qui venait de supporter une incomparable épreuve avec une constance presque imprévue ; après avoir rempli la première partie de sa mission en signant la paix, elle aurait pu comprendre que le meilleur moyen d’aller jusqu’au bout, de réconcilier ou de soumettre Paris, était encore de le traiter avec une cordialité virile, sans faiblesse comme aussi sans méfiance. Il y avait vraiment peu de justice et peu de prudence à paraître oublier ce que Paris venait de souffrir pour ne se rappeler que son rôle révolutionnaire, — comme si Paris faisait seul les révolutions, comme si l’évocation ombrageuse de ces