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L’armistice, en donnant, il est vrai, du pain aux affamés et une liberté relative aux captifs de cinq mois, l’armistice avait créé brusquement une situation aussi étrange que redoutable. Il avait laissé Paris déçu, irrité, démoralisé par la défaite, livré au péril de toutes les surexcitations dans le vide et dans l’impuissance. Paris ne pouvait plus rien contre l’ennemi extérieur, il pouvait tout contre lui-même.

Cette situation s’était rapidement aggravée ; elle avait déjà trouvé une première et singulière expression le 8 février dans ces élections désordonnées qui, par la réunion des noms les plus compromis mêlés à quelques noms respectés, ressemblaient à une énigme de confusion et d’anarchie jetée à la province. Tout se réunissait pour précipiter une dissolution qui jusqu’à un certain point était l’inévitable rançon du siège. — Au premier instant, tous ceux qui avaient pu partir s’étaient hâtés de quitter Paris ; on ne pouvait guère leur fermer la porte ouverte par l’armistice, et ce départ soudain de près de 100,000 assiégés de la veille enlevait à la garde nationale ses cadres, ses chefs, ses élémens conservateurs, à la défense intérieure sa garantie la plus sérieuse. — Le gouvernement n’avait certes fait que ce qu’il devait en prévenant la famine par la capitulation, et ce qu’il avait dû subir comme une nécessité impérieuse avait achevé de le ruiner, même dans bien des esprits honnêtes qui ne pouvaient lui pardonner le malheur dont ils l’accusaient. Moralement il n’avait plus une ombre d’autorité ; militairement il restait avec une division de 15,000 hommes que l’armistice lui avait laissée. Il n’y avait pas de quoi faire la police ! Que pouvait d’ailleurs un gouvernement qui par la reddition avait abdiqué son mandat de défense nationale et qui en présence de l’assemblée de Bordeaux ne représentait plus rien ? — L’armée de Paris subissait la loi de la guerre, elle était prisonnière ou à la disposition du vainqueur. Peut-être aurait-on pu éviter, sinon le désarmement exigé par l’ennemi, du moins une dislocation complète. On n’évitait rien, et pendant quelques semaines plus de 200,000 soldats ou mobiles se trouvaient perdus dans la ville, livrés au vagabondage et à l’indiscipline, mêlés à la population des faubourgs, exposés à toutes les contagions de désordre. De toute façon, Paris devenait ainsi d’heure en heure un vaste chaos où seule la sédition grandissait, profitant de tout, des irritations du patriotisme déçu, des humiliations et des souffrances d’une population froissée dans son orgueil, des habitudes d’oisiveté et de turbulence militaire développées par le siège, du départ de 100,000 gardes nationaux, de l’impopularité du gouvernement, de la décomposition de l’armée.

Au commencement de février, la sédition était encore éparse et pour ainsi dire flottante dans la ville. Avant la fin du mois, à partir