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Plessis-Baussonnière, Magnas de Saint-Géry, Henri de Montmorency, Auguste de Thou, M. et Mme de Rambouillet, entourent sa mémoire d’un cortége de nobles sympathies. A en juger par le ton général de ses lettres, Malherbe, d’un goût si fin, mais si difficile, semblé l’avoir tenu en singulière estime. A vrai dire, aucun bon juge ne l’a vu de près sans emporter de lui une idée très haute ; il a en sa faveur les suffrages qui comptent, les gens de mérite, que n’aveuglaient pas les préventions ou les griefs personnel Amis et ennemis, tous s’accordent à reconnaître en lui un grand personnage ? ce qui, dans la langue du temps, signifie non point un grand seigneur, mais bien un grand homme.

L’esprit chez d’Épernon avait d’autres cordes que l’ironie : il savait aussi bien mettre en relief sa dignité, dans une circonstance grave, que faire assaut avec la « gausserie, » d’Henri IV ou de Bassompjerre, d’ailleurs éminemment propres aux affaires par une netteté ; et une justesse à surprendre les plus habiles. En martière de gouvernement, il avait le coup d’œil pénétrant et ferme, la décision rapide, et sa raison résistait sans effort aux entraînemens de son impétuosité naturelle : l’imprévu, le péril inopiné, avait cet effet rare de développer toutes ses forces. Aux incartades près de l’orgueil, sa vie peut être citée comme le plus savant chef-d’œuvre du calcul ambitieux. Dès le commencement de sa faveur, à vingt--quatre ans, il conçut, avec une sûreté de jugement qui n’est comparable qu’à sa hardiesse, un plan de conduite qui devait l’élever au-dessus de tous et, chose plus ardue, l’y maintenir :

O faciles dare summa Deos eademque tueri
Difficiles !…..


Pour asseoir sa fortune sur des bases inébranlables et la mettre à l’abri d’un revirement à prévoir avec une nature aussi perfide qu’Henri III, il comprit tout d’abord qu’il fallait se rendre redoutable ; quoi qu’il advînt, il fallait qu’on eût à compter avec lui, même déchu de la toute-puissance ; Aussi, contre l’usage des favoris qui ne cherchent d’ordinaire qu’à s’enrichir, le vit-on promptement concentrer dans ses mains la force. Peu soucieux pour l’heure de seigneuries et de domaines, il n’accepta des bienfaits du roi que la terre de Fontenay-en-Brie et la châtellenie d’Épernon sur laquelle fut érigé son duché-pairie, mais les gouvernemens de province, les places, les solides remparts de La Fère, de Boulogne, de Metz, voilà ce qu’il rechercha de préférence, sûr d’y trouver un refuge en cas de disgrâce et un point d’appui politique pour jouer toujours un rôle capital dans les affaires de l’état. Sa prudence fut amplement justifiée par la crise de 1588 : c’en était fait de lui le lendemain des barricades, s’il n’y avait eu qu’à piller ses coffres et à faire main