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pas de viser à l’anéantissement de la maison d’Epernon, dont la dépouille lui était promise. Pour comble, et comme s’il n’y avait pas dans la mésintelligence de ces deux chefs assez de causes de conflits et finalement d’insuccès, Richelieu, imagine, d’envoyer avec des pouvoirs égaux à ceux de La Valette, et pour bien mettre celui-ci en état de suspicion, aux yeux de toute l’armée, qui ? Sourdis, encore meurtri des gourmades de d’Épernon, et devenu à la suite des mémorables prouesses du parvis de Saint-André un des premiers hommes de guerre du royaume.

Est-ce tout ? Pas encore. Justement fiers, de tant de prévoyance et de savantes combinaisons, le roi et le ministre, tombent d’accord sur le jour du triomphe qu’ils ont si bien préparé., Ils envoient à Condé pour d’Espenan, un des espions attitrés de Richelieu, les provisions de gouverneur de Fontarabie, et prennent des mesures pour les salves qui doivent célébrer notre conquête. L’odieux commence à la nouvelle du désastre. La rage du mécompte a besoin d’une victime. Il faut à tout prix disculper Condé et ceux qui l’ont choisi. La Valette se trouve justement à point pour servir de bouc émissaire ; on sait le reste. Il paya pour le général qui s’était déshonoré une fois de plus, mais non la dernière, pour Sourdis, qui n’avait fait rien qui vaille, pour Saint-Simon, pour 10,000 hommes pris de panique ; il paya surtout pour la blessure qu’il avait faite à l’orgueil des Du Plessis. Quel que, fut d’ailleurs le succès de la campagne, — et Richelieu était certes trop jaloux de l’honneur de nos armes pour en avoir sciemment concerté la mauvaise issue, — la résolution était irrévocablement prise de perdre La Valette ; le cardinal pouvait s’en remettre au zèle de Condé et de Sourdis pour en trouver le Moyen. L’inconcevable association de ces trois hommes n’a pas d’autre motif.

Le choix de Condé était si bien une machine de guerre dirigée, non contre les Espagnols, hélas ! mais contre la maison des La Valette, que dès son arrivée en Guienne et avant même de prendre le commandement de l’armée, son premier acte fut d’interdire ses fonctions au gouverneur et de le reléguer hors de la province. Après sa déroute, le fuyard, se rejeta vite sur sa véritable besogne. Le sort de La Valette étant aux mains du cardinal, il ne restait plus qu’à écraser définitivement d’Épernon ; mais que faire contre ce vieillard de quatre-vingt-quatre ans, révoqué de sa charge et confiné à Plassac ? Le flétrir et le piller. M. le prince y procéda avec une foudroyante énergie. Le procureur et l’usurier, on le sait, se confondaient merveilleusement en lui ; ces nobles aptitudes rivalisèrent d’entrain. En moins d’une semaine, grâce à ses harangues au parlement et à ses factums, la Guyenne apprit, à n’en pas douter, qu’elle n’avait eu à sa tête pendant seize ans qu’un misérable