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crainte qu’il inspirait à tous depuis un demi-siècle ! A lui maintenant de craindre, ou du moins de subir l’ascendant d’un maître ! Quel contraste avec le passé ! quel retour aux souvenirs d’Angoulême ! quelle rude expiation de ce traité, monument de sa grandeur évanouie, où il avait fait la paix avec le roi de couronne à couronne ! Tel était le résultat d’un seul petit fait, le remplacement de Luynes par Richelieu. Réflexion peu propre à consoler le vaincu, c’était lui qui avait fait la fortune de son oppresseur, c’était son fils le cardinal qui trois ans auparavant l’avait tiré d’une disgrâce sans remède à la journée des dupes.

Dans ce naufrage de sa puissance, l’orgueil vint une fois de plus en aide à d’Épernon et sauva du moins sa dignité. Comprenant qu’il était à la merci de ses ennemis et n’avait rien à attendre de leur générosité, il ne s’abaissa point à des supplications directes ni indirectes. Il n’écrivit qu’au pape, au légat, aux juges saisis du procès canonique, pour témoigner de son repentir et protester surtout contre l’inique hypocrisie qui s’obstinait à révoquer en doute sa pleine et entière soumission à la foi catholique. On lui fit indécemment attendre l’absolution toute une année. Pour être reconnu chrétien, il fallait au préalable qu’il eût donné des gages au ministre. Voilà en quel instrument avili de ses vengeances et de ses vues intéressées le prince de l’église transformait la religion. D’Épernon satisfit sans bassesse à ses exigences. Il céda le gouvernement de Metz à son fils le cardinal, il acquiesça au mariage de son autre fils Bernard avec une nièce de Richelieu ; mais le catholique seul demanda sa grâce. De la privation de ses charges de gouverneur de Guienne et de colonel-général, de son exil à Plassac, pas une plainte ne sortit de sa bouche. Par cet altier silence, il frustra l’espoir de Richelieu qui comptait bien le voir à ses pieds. Menaces de révocation définitive, menaces de changer l’exil en prison, le ministre mit tout en œuvre sans faire fléchir l’octogénaire : il ne put le contraindre à solliciter son pardon. Désespérant de vaincre sa constance, on voudrait pouvoir dire touché de sa grandeur d’âme, Richelieu changea soudain de tactique, et proposa, imposa plutôt ce marché, qui mettait à nu ses vaniteuses faiblesses : il achetait aux d’Épernon l’honneur de leur alliance. Personne ne s’y trompa, aux visibles répugnances de Bernard et de son père. Placé entre l’intérêt et l’orgueil, celui-ci hésita longtemps. Il eût très probablement sacrifié son rétablissement dans ses charges et accepté la prison, sans la considération de son fils, menacé, lui aussi, de l’ire vindicative de l’éminence. On obtint son consentement, mais ce fut tout : il tint bon à ne pas faire à sa bru les donations d’usage, non par avarice, il était magnifique, mais par fierté, pour témoigner à quel point lui agréait peu cette alliance, alléguant pour excuse qu’il