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l’intermédiaire entre son père et son ingrat ami, Richelieu continuait à battre en brèche le dernier représentant du pouvoir féodal, mais toujours cauteleusement, attaquant surtout en lui les points vulnérables de l’orgueil, chargeant d’Épernon d’opérations militaires odieuses (la guerre aux moissons, ce qu’on appelait le degast) sans lui fournir les ressources nécessaires pour les mener à bien, lui suscitant difficultés sur difficultés dans son gouvernement, rognant ses attributions, lui tendant des pièges, donnant invariablement raison à ses ennemis personnels dans les conflits où l’engageait imprudemment son humeur, devenue plus intraitable encore avec l’âge. Un jour, c’est le parlementeront le ministre sanctionne les usurpations sur les prérogatives du gouverneur. Demain, ce sera Sourdis, qu’il enlève aux fonctions d’intendant de son château de Richelieu pour le placer sur le siège archiépiscopal de Bordeaux avec la mission spéciale, non d’édifier les fidèles, mais d’exaspérer le colérique vieillard et de l’entraîner à quelque scandaleuse incartade qui permette enfin de l’accabler sous le couvert de la religion. Le temps était venu : le plus noble sang de France séchait à peine sur le billot de Toulouse, d’Épernon avait quatre-vingts ans, on pouvait impunément s’attaquer à lui. On sait avec quel succès le pieux agent de Richelieu s’acquitta de sa tâche. Il y récolta, il est vrai, des gourmades en attendant les vingt coups de canne du maréchal de Vitry, qui achevèrent de faire de lui « le prélat le plus bâtonné de France ; » mais quoi ! faut-il s’apitoyer outre mesure sur une mésaventure qui lui valut en somme de goûter le plaisir des dieux ? La vue de d’Épernon agenouillé devant lui à la porte de l’église de Coutras fut sans doute une assez belle revanche ; son patron Richelieu a dû lui envier ce spectacle.


V

D’Épernon était humilié, mais l’amende honorable de Coutras, malgré l’amertume de ce déboire, n’atteignait l’homme qu’à demi : le chrétien seul s’était agenouillé devant l’archevêque. L’humiliation véritable, parce qu’elle frappait d’Épernon dans ce qu’il avait de plus cher, le sentiment de sa force, le prestige de son nom, avait été pour lui le lendemain de la scène extravagante du parvis de Saint-André. Sur un ordre du roi de quatre lignes, apporté à Bordeaux par un simple garde, il avait fallu, sans songer même à la possibilité d’une résistance se dépouiller sur l’heure de son autorités s’acheminer vers la demeure qui lui était assignée hors de son gouvernement. Rien, dans les calamités qui firent du reste de sa vie ! un spectacle presque tragique, ne fut comparable sans doute à cette cruelle révélation de sa déchéance. C’en était donc fait de la