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Qui veut admirer Richelieu doit surtout regarder à sa politique étrangère. Là il est vraiment grand ; les actes répondent à la fermeté hardie des desseins, rien n’égale la hauteur de cette conception du rôle extérieur de la France. Combien de réserves à faire par contre en ce qui touche son gouvernement intérieur ! Ici tout change ; si vous en exceptez la question du protestantisme, qu’il a supérieurement résolue, les violences, les exagérations, les iniquités faussent et compromettent à chaque pas la rectitude de son jugement. Pourquoi ? C’est que l’homme intervient ici avec toutes ses passions et ses défaillances, tandis qu’il s’efface devant l’homme d’état dans cet autre ordre d’affaires qui, par leur nature impersonnelle, sont presque exclusivement du ressort de l’intelligence. Or, si l’intelligence s’élève chez Richelieu jusqu’au génie, il s’en faut que le caractère ait la même noblesse. Frappée de l’éclat héroïque de certains faits de son ministère, séduite par la mâle fierté de son sentiment national, l’histoire semble s’être donné le mot de nos jours pour surfaire à outrance cette illustre renommée. On veut à toute force trouver de la grandeur, non-seulement dans quelques-uns de ses actes publics, mais dans tous, et jusque dans sa vie privée. Il n’est pas jusqu’au littérateur qui ne bénéficie fort indûment de ce parti-pris d’enthousiasme ; si l’on consent à ne pas nous imposer Mirame, au moins faut-il que nous admirions sans réserve et l’orateur et le contre versiste, et surtout l’auteur des Mémoires. Qu’il nous soit permis de n’en rien faire. La lecture de cette œuvre laborieuse est une des plus ingrates qui soient. Comme fond, l’apologie viole constamment la vérité, et la forme, qui a perdu toutes les grâces faciles de la langue d’Henri IV et de d’Ossat, n’atteint ni à la précision ni à la fermeté des véritables écrivains politiques. Pour laisser là le très médiocre auteur et en venir à l’homme, génie à part, et à ne considérer que son tempérament, on n’y trouve d’instinct élevé qu’une certaine libéralité ; il était avide, mais savait donner et récompenser royalement, des deniers de la France ; tout le reste est mesquinerie, pour ne pas dire pis. Il se piquait d’être galant homme ; il avait en réalité toutes les petitesses et nombre des ridicules du pédant. Il se piquait aussi de bravoure militaire, — à juste titre peut-être. Ce qui est avéré, c’est que la fermeté d’âme lui a failli en toute conjoncture critique : il n’avait ni résistance ni solidité dans les périls ou les revers. Chose plus grave, le sens moral lui manque, mais à un point tel, que Richelieu peut surprendre ceux-là même qui ont étudié de près les grands cas psychologiques de l’immoralité inconsciente, Bonaparte par exemple. Le mot fameux qu’il a dit au lit de mort sur ses ennemis, et qui a scandalisé les contemporains comme le plus audacieux mensonge, a tout au contraire l’empreinte de la bonne foi : c’est la preuve la plus