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l’affabilité bienveillante qui peut, sans qu’il en coûte trop à la sincérité, masquer des sentimens très différens de l’affection : elles prodiguent à d’Épernon les plus vives assurances d’attachement pour lui, d’intérêt pour ses enfans, que le roi revendique comme siens à cause de la parenté des Foix-Candale avec les d’Albret, dont il veut faire les compagnons et les amis du dauphin ; elles s’enquièrent avec une bonhomie pleine de naturel et de cordialité de ses occupations, de sa santé, de ses constructions de Cadillac ; Henri lui écrit parfois sans raison d’affaires, à titre uniquement de souvenir et dans des termes caressans ; le mot d’amitié revient à chaque ligne. N’est-ce là qu’une comédie ? Tant pis pour Henri IV ; on nous permettra de la trouver également indigne de son caractère et de son esprit. Les deux Gascons se connaissaient à fond ; la clairvoyance du sujet égalait au moins celle du maître ; ils devaient réciproquement désespérer de se prendre pour dupe. Ces faux semblans d’amitié, si aisément percés à jour, ne pouvaient donc avoir qu’une signification pour d’Épernon, celle de l’aveu des craintes qu’il inspirait. Je me trompe : son orgueil pouvait y savourer une satisfaction plus vive encore, l’infériorité morale d’un adversaire capable de s’abaisser devant lui jusqu’à l’imposture. Le roi lui aurait-il donné de gaîté de cœur le droit d’ajouter ainsi le mépris à l’inimitié ? Plus on y regarde de près, plus il est malaisé, ce me semble, de tenir pour vraie la légende de l’aversion d’Henri IV pour d’Épernon : elle implique en tout cas comme conséquence nécessaire que le Béarnais mentait, non pas à l’occasion seulement, mais systématiquement, mais vingt années durant, et cela de la meilleure grâce du monde, — le tout comme un sot, puisque c’était en pure perte. Il faut donc opter entre l’une ou l’autre alternative : ou Sully nous en impose, ou Henri IV est un franc hypocrite. On préférera sans doute croire qu’il fut sincère, que d’Épernon resta toujours pour lui, en dépit de ses torts, le Gaumont de l’évasion de Senlis, — et qu’il ne jouait pas une dernière scène de comédie, le bras amicalement passé autour du cou d’un homme qu’il détestait, quand le couteau de Ravaillac lui perça le cœur.


IV

De cruels mécomptes attendaient le conseiller de la régente. Peu de jours suffirent pour lui ôter l’espoir d’une autorité sans partage. La mort du roi n’en fut pas moins pour d’Épernon le point de départ d’une ère d’influence qui, tantôt prépondérante, tantôt éclipsée, dura jusqu’à la paix de Loudun, où, frappé d’une disgrâce complète, il quitta définitivement la cour. Il est à l’honneur de l’homme que les périls ou la sécurité de la reine servent d’exacte