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esprit délié et ombrageux, aisément en méfiance de toute nature énergique, actif et vigilant, l’œil ouvert sur amis et ennemis, peu prodigue, sauf de bons mots et de sourires, bon roi certes, mais avant tout grand roi, au-dessous d’un pareil maître, placez l’homme que nous connaissons : comment l’antagonisme des tempéramens et des visées n’aurait-il pas abouti à un conflit ? Soyons justes : il fallait une vertu plus qu’ordinaire au favori de la veille, arbitre absolu de toute chose sous ce fantôme de roi qui n’avait de volonté qu’au service de ses inexplicables engouemens, pour se résigner à être banni du conseil et exclu de toute participation aux affaires. Quelle déchéance pour l’orgueilleux qui avait vu dix ans la France à ses pieds, que d’être relégué dans la foule, d’avoir à tolérer des égaux, à ménager un Rosny, à se contenter désormais des respects extérieurs de tous ! Puiser à pleines mains dans les coffres de l’état, autre prérogative perdue ! il ne restait plus même la ressource de dédommager son ambition par l’indépendance du gouverneur de province : toute entreprise empiétant sur les droits du roi était jalousement surveillée et tenue en échec. Ajoutez, — et là saignait à vif la blessure la plus douloureuse, — que ce souverain d’aujourd’hui, d’Épernon avait traité avec lui d’égal à égal ; bien plus, il l’avait eu pour protégé.

La liaison entre les deux compatriotes remontait à leur première jeunesse. Ils s’étaient d’abord connus fort petits personnages l’un et l’autre en comparaison des grandeurs actuelles : l’un roitelet, volontiers bafoué à la cour des Valois dans ces quatre ans de captivité qui furent pour lui le plus clair profit de son mariage avec Marguerite, — l’autre simple cadet aux gardes sous le nom de Caumont. La communauté d’origine les rapprocha, les deux Gascons se prirent d’amitié. L’astre d’Henri, fort obscurci pour l’heure, ne présageait pas un bien éclatant avenir. Caumont voulut néanmoins courir les chances de sa fortune. Lui sixième, il l’accompagna dans son évasion de Senlis en 1576 ; mais, une fois parvenu en terre huguenote, Henri fit derechef profession publique de la foi de Jeanne d’Albret ; Caumont restant ferme dans la sienne, ils se séparèrent sans aigreur de part ni d’autre. Suivant Girard, la séparation eut lieu à Alençon ; on pourrait induire d’un mot équivoque de Sully[1], d’accord avec d’Aubigné[2], que Caumont poussa jusqu’aux portes de La Rochelle, mais s’en vit refuser l’accès par les habitans comme ayant au côté une épée rougie dans le sang de la Saint-Barthélemy. L’insinuation, si elle s’applique à Caumont, est calomnieuse ; il est certain qu’il ne prit aucune part au massacre,

  1. OEconomies, t. Ier, p. 261.
  2. Choses notables advenues aux premiers troubles. Voyez Cimbor et Danjou, Archives curieuses de l’histoire de France, 1re série, t. VIII, 414.