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d’être revêtu de l’autorité de gouverneur, n’avoir qu’un mot à dire comme en 1621, pour faire monter à cheval tous les gentilshommes de la province. Notez qu’ils comptaient dans leurs rangs des noms de la première volée, Montesquiou, d’Esparbès, Montaut, Pardaillan, Duras, Cominges, Faudoas, Preissac, Montpezat, Castelbajac, Grossoles, Caumont, toutes races qui remontent loin dans le passé de l’histoire locale, tandis que ce chef spontanément choisi, dont ils se faisaient aveuglément les champions, n’était auprès de la plupart d’entre eux, avec ses deux cents ans de noblesse due au capitoulat toulousain, qu’un hobereau de la plus mince étoffe. Voilà déjà dans ce seul fait de quoi fixer l’attention de l’historien, surtout du moraliste : l’homme ne saurait être médiocre qui triomphe de l’orgueil d’autrui et réussit à en faire le levier de son propre orgueil ; mais d’Épernon leur réserve mainte autre surprise. Il n’est guère de figures qui offrent à l’étude un champ d’observations aussi intéressant. Sa vie est curieuse, sa nature l’est encore davantage.

Écartons tout d’abord à son sujet le souvenir du personnage de comédie. Du Gascon traditionnel, il a bien quelques traits, ne serait-ce que l’esprit et l’outrageux accent qu’il se piqua toujours de conserver dans sa pureté native, j’ajouterais la vanité, si La Fontaine n’avait dit, heureusement pour la Gascogne : « C’est proprement le mal français. » Sur ce chapitre français ou gascon de la gloriole, Tallemant est en fonds d’anecdotes plaisantes mises à tort ou à raison sur son compte ; mais avant tout, — et là est la clé de sa nature, — d’Épernon est un caractère, en d’autres termes un homme à passions fortes, partant sérieux. C’est trop peu dire ; rongé d’ambition jusqu’à sa dernière heure, il fut, comme toutes les victimes de cette maladie mentale, d’humeur sombre et morose. En veut-on la preuve ? Il avait un bouffon à gages. Le Gascon sait d’ordinaire se suffire à lui-même. Sa mélancolie, on le devine, n’avait rien de commun avec cette satiété des grandeurs qui arrache aux despotes désabusés des accens si pénétrans de détresse morale. Le propre au contraire de ce puissant ambitieux est d’avoir toujours convoité une suprématie nouvelle, toujours aspiré plus haut. Excelsior, telle pouvait être, à lui aussi, sa devise. L’empire du monde, on peut l’affirmer, n’eût pas excédé la mesure de cette âme effrénée.

Il n’a rien non plus des ridicules du parvenu, s’il en a les vices. Il a fait pleurer assez de gens, comme le prédicateur Poncet le lui disait un jour à lui-même ou à son compagnon de faveur Joyeuse, on n’a guère ri à ses dépens que du bout des lèvres, et surtout à distance. Une grâce hautaine et charmante, l’aisance souveraine des façons, libres sans familiarité avec les rois, modèles de dignité noble avec tous quand il ne lui plaisait pas d’y ajouter la raillerie, — un