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de ces hommes-là n’ont point de supérieurs dans notre histoire, je ne leur vois pas même d’égaux ; Monluc s’y place en haut rang, lui aussi, Brantôme plus bas, mais gaîment éclairé d’un vif rayon. La Gascogne peut demander à ses railleurs quelle autre tribu de la famille française a de pareils titres à la reconnaissance nationale.


I

Qui le croirait ? sa personnification complète, elle ne l’a trouvée dans aucun de ces glorieux rejetons : le vrai fruit de ses entrailles, le fils vraiment fait à son image, c’est un autre que ceux-là, moins noble de cœur ou d’intelligence, plus puissant peut-être de caractère, leur contemporain à tous, bien qu’il leur ait survécu de près d’un demi-siècle : Jean-Louis de Nogaret de La Valette, qui a fait au nom de d’Épernon une célébrité d’assez fâcheux aloi. Tout n’est pas injustice dans les sévérités de l’histoire pour ce nom, symbole altier de l’orgueil plus encore que de l’ambition, et il serait superflu sans doute de se défendre de la moindre velléité de réhabilitation à son endroit. « Vous n’avez pas d’amy céans, mais un juge, » pourrions-nous dire, comme Achille de Harlay, à l’audacieux personnage. Encore faut-il reconnaître qu’il a subi deux injustices capitales : il a été d’une part calomnié plus qu’homme de France par des ennemis personnels, très acharnés et fort peu scrupuleux, Sully, d’Aubigné, Richelieu, dont le témoignage semble avoir uniquement servi de guide à l’opinion ; d’autre part, nombre d’historiens en usent à son égard avec un sans-façon qui frise de près la bévue. Nous aurons l’occasion de revenir sur les calomnies ; quant au second point, traiter lestement d’Épernon d’ambitieux vulgaire, prononcer contre lui une brève sentence et passer outre comme s’il s’agissait d’un comparse insignifiant, d’un Bellegarde, voire d’un Bassompierre, c’est un contre-sens historique. La rigueur peut être de mise, non le dédain. Outre qu’il a joué un rôle important, parfois décisif, dans presque toutes les affaires d’état de 1578 à 1638, d’Épernon ne saurait être considéré autrement que comme une nature supérieure à laquelle il n’a manqué qu’un sens moral à la hauteur des talens et surtout du caractère pour marquer sa place parmi les plus grandes figures de son siècle. La Gascogne n’a point en lui un indigne représentant. Il est vicieux, mais sans bassesse. Intrépide, spirituel, habile, hardi, doué d’une volonté de fer qui avait à son service la sagacité et la prudence ; parti de bas, monté au faîte, sachant s’y maintenir par des prodiges d’énergie et d’esprit de conduite, longtemps comblé des faveurs de la fortune, plus tard abandonné par elle et déployant alors dans la lutte contre les disgrâces la vertu des mauvais jours, le stoïcisme d’une grande âme,