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tient, faire pêche effective dans le havre, trancher et saler à la place les produits de la pêche, y former et y entretenir un établissement complet. Toute place qui ne sera pas ainsi occupée perdra ses droits à l’armement des seines ». Donc voici des navires condamnés à pêcher dans un lieu et non pas dans un autre, immobilisés pour cinq ans, pendant lesquels ils courent le risque de ne pas voir une morue. Reportons-nous à la répartition des navires par série : nous y voyons que les bâtimens de moins de 100 tonneaux de jauge, classés dans la troisième série, ayant droit par conséquent aux dernières places de la côte, doivent compter « 20 hommes d’équipage au moins, si le navire ne doit pas armer une seine, et 25 hommes, s’il doit en faire usage. » Quiconque ne peut faire les frais d’un armement aussi coûteux se voit donc exclu de la côte est. Mêmes obligations pour devenir concessionnaire à la côte ouest. Là du moins les pêcheurs ont le droit de se déplacer, « la pêche étant réservée et demeurant, comme à la côte est, le privilège exclusif des navires occupant tous les havres portés sur le tableau de répartition où il est créé des places qui sont concédées par la voie du tirage ».

Que reste-t-il pour le petit navire monté par une dizaine d’hommes, armé en commun par de petites bourses, ayant besoin plus que tout autre de suppléer à la faiblesse de son équipage par l’initiative de ses pêcheurs et par la perfection de ses engins ? La pêche est libre, dit le règlement, « pour tous les navires pêcheurs sans exception, expédiés à la côte ouest, dans toutes les baies où il n’est pas créé de places particulières, et qui sont désignées sur le tableau de répartition des places comme affectées à l’exploitation commune de la pêche » ; mais en même temps ce règlement s’oppose à l’emploi de certains filets dont les Anglais, mieux avisés, se servent sous nos yeux, toujours avec succès, et condamne nos pêcheurs à des moyens surannés, à des mesures vexatoires, qui ont pour effet direct de paralyser l’effort des esprits entreprenans. Nous écartons en ceci la possibilité du dépeuplement des fonds de pêche par la nature des engins en action. L’abondance de la morue dans les parages de Terre-Neuve, ses mœurs nomades, sa fécondité prodigieuse, l’étendue considérable des lieux de pêche relativement au nombre des pêcheurs, semblent des garanties suffisantes contre l’affaiblissement de l’espèce.

N’est-il pas permis de croire que, si tout navire, petit ou grand, avait eu la liberté de venir à Terre-Neuve pour y pêcher sans frais obligatoires, sans restrictions et sans entraves, l’état ne se réservant qu’un seul droit, celui d’assurer la police des havres, notre flotte de pêche se fût accrue rapidement ? Avec la concurrence devenue possible, le personnel qu’elle emploie, et qui semble toujours