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mer les actes d’indiscipline. Sur plusieurs points, tout est en règle, et la majorité des établissemens fait honneur à ceux qui les dirigent ; les hommes y sont traités avec humanité en ce sens que l’on y tient compte de leur vie, de leur santé et de leur repos. Il en est d’autres où ce principe n’est pas toujours observé. Cabanes insuffisantes, sans planchers, presque sans toitures, où les pêcheurs s’entassent après une journée de travail sans relâche, et dorment dans une atmosphère indescriptible d’humidité malpropre ; vivres douteux, soins ignorés en cas de maladie ou de simple accident, tel est le triste état de choses, assez rare en vérité, mais qui pourtant se rencontre trop souvent encore aujourd’hui. De semblables abus sont signalés tous les ans, et chaque année les voit se reproduire, si bien qu’il faut croire que l’usage en consacre l’impunité.

En pareil cas, le grand argument des gérans et des capitaines consiste à dire que les hommes ne se plaignent pas. Il est rare en effet que les plaintes soient nettes et régulièrement établies, mais quiconque a pu bien étudier le caractère du marin ne s’en étonnera jamais. C’est un grand enfant qui n’arrive au fait qu’après des circonlocutions sans nombre ; aisément content de peu, il se contente de moins encore. Il sait d’ailleurs que, s’il se plaint, il trouvera difficilement à se placer l’année suivante ; or il a fait son métier de la pêche, et vous dira sans sourciller que le lard n’est pas mauvais alors qu’en le goûtant vous-même vous le trouverez détestable. Le matelot craint le capitaine, le capitaine redoute le gérant, le gérant tremble devant l’armateur ; la vérité qui suit cette filière arrive rarement au grand jour. Aux termes du règlement, tout bâtiment comptant 40 hommes d’équipage doit avoir un médecin. Six fois sur dix, cette prescription n’est pas observée. Certains armateurs déclarent que, le climat de Terre-Neuve étant aussi sain que celui de France, la présence d’un médecin n’a pas sa raison d’être. Que diraient ces messieurs, si, partant d’un principe aussi large, on les privait, ainsi que leur famille, des secours de la faculté ? Ne pourrait-on pas les amener à des sentimens plus humains en retenant, en tout ou partie, la prime aux bâtimens indûment expédiés sans chirurgiens ? Quelques heures avant le départ, les capitaines déclarent dans les bureaux de l’inscription maritime qu’ils ont vainement cherché un médecin ; pour ne pas entraver la pêche, l’administration se contente de mentionner le fait au rôle d’équipage, et le navire prend la mer, n’ayant pas toujours à bord les médicamens de première nécessité. Si les médecins ne se présentent pas, c’est qu’on les paie d’une manière insuffisante ; la meilleure preuve en est que les armateurs soucieux de la vie de leurs hommes n’en ont jamais manqué. L’économie qu’on réalise ainsi a malheureusement les plus tristes conséquences. Sans doute le climat est sain à Terre-