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progrès incontestable ; mais ce progrès a été, comme tous les progrès, acheté au prix de bien des pertes et des sacrifices. La pensée-image, le symbole, l’emblème, avaient je ne sais quoi de plus vif, de plus pittoresque, de plus attrayant que l’écriture, sèche expression de la parole raisonnée, analytique et précise ; elle saisissait davantage l’imagination, si elle satisfaisait moins l’intelligence ; elle avait à la fois plus de force et de naïveté. Quelque chaud que soit le discours, il paraît toujours languissant à côté de l’expression de la pensée par des formes et des couleurs. Sans doute les mots instruisent et fortifient plus l’entendement que la vue muette des images ; ils nous font pénétrer dans la constitution intime des choses, et sans eux nous n’en pourrions scruter les profondeurs ; ils nous apprennent à ne pas nous abandonner aux impressions instinctives qui naissent de la vue des objets, à ne pas supposer à ceux-ci des caractères qu’ils n’ont pas ; mais, si nous avons perdu la superstition des images, nous avons en revanche contracté celle des mots. Fréquemment nous les confondons avec les choses mêmes, et ce que les peuples enfans font pour les symboles divins qu’ils prennent pour des réalités vivantes et personnelles, nous le faisons parfois pour les mots, en sorte qu’en abandonnant l’adoration des symboles nous adoptons une religion qui n’est souvent pas moins mensongère ; nous imitons les anciens des temps de la décadence du polythéisme, alors qu’ils prêtaient à certains noms auparavant inconnus, à des formules réputées magiques, inscrits sur des amulettes, les vertus attribuées d’abord aux simulacres des dieux, représentés sous les plus beaux traits de l’humanité. Les gnostiques et les néoplatoniciens croyaient ainsi s’affranchir de l’idolâtrie : ils n’avaient fait qu’en changer.

Les représentations figurées, les emblèmes employés comme écriture, et qui constituaient un langage d’un ordre spécial, avaient donc leurs avantages et leur genre d’éloquence. Les sceaux, où ces images sont si multipliées, rendaient plus palpable et plus solennelle l’intervention de la personnalité humaine dans les actes et les contrats, dans les lettres missives et les traités ; ils nous disaient mille choses que ne dit plus aujourd’hui un nom griffonné ou un illisible paraphe. Faut-il donc en revenir à l’emploi des sceaux ? Non, certes : il n’est plus de notre âge, il ne rentre plus dans nos habitudes, il ne répond plus aux exigences de notre esprit ; mais il s’adaptait merveilleusement aux mœurs du moyen âge, il appartenait aux conditions de la société d’alors, et voilà pourquoi on doit étudier la sigillographie pour la bien connaître et la mieux apprécier.


ALFRED MAURY.