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peu bas, de voir les choses en petit. Il soupçonnait partout des dessous de cartes, cherchait, comme on dit, la bestiole, écoutait les commères, assignait volontiers des causes minuscules aux plus grands effets. Pour expliquer par exemple la chute d’un ministre, il disait que sa fille eut un jour un amant jaloux et qui voulut être seul ; les rivaux éconduits se fâchèrent et passèrent à l’opposition : c’est ce qui amena 89 et 93. Savez-vous ce qui perdit la royauté ? C’est qu’elle avait renoncé à l’étiquette, a aussi nécessaire aux souverains que les costumes aux acteurs. » Cette microscopie a de l’agrément et peut avoir aussi de l’utilité ; mais je suis de l’avis de Vauban, je n’aime pas les gens qui regardent par le trou de la serrure. Gorani dans sa jeunesse avait eu le malheur de s’exalter trop vite et trop fort, il avait dû revenir de ses enthousiasmes : aussi dans sa vieillesse était-il revenu de tout. Après avoir été la dupe de sa foi, il devint, ce qui arrive trop souvent, la dupe de sa défiance.

Il eut de la bile et trouva tous les vins amers ; les dégoûtés sont encore ceux qui se trompent le plus. Ses mémoires, surtout les chapitres qui racontent les temps où il se faisait vieux, fourmillent d’injustices. Un jour, le 7 mars 1790, il rencontra chez Sophie Arnould « l’illustre Beaumarchais, » auquel il ressemblait par tant de côtés, on l’a déjà remarqué sans doute. Eh bien ! voici ce qu’il dit de lui dans son journal : « Beaumarchais, un des hommes les plus spirituels, les plus aimables et les plus haïssables de France… Tout Paris était dans la persuasion qu’il avait tué ses trois premières femmes après les avoir auparavant accablées d’indignités. Il avait été longtemps l’âme damnée de Sartines et de Lenoir, qui l’ont employé à des forfaits. Au commencement de la révolution, il s’était déclaré un partisan zélé de cette levée de boucliers, dans l’espoir d’y jouer un rôle ; mais aucune faction ne voulut plus de lui. Louis XVI le connaissait parfaitement dès le temps où il n’était que dauphin. Dans ces temps, comme on parlait en sa présence de cet homme et de sa détention, ce prince dit : « C’est bien fait, car c’est un homme vil et atroce qui ne sait se faire valoir que par sa méchanceté. Les maîtres d’hôtel n’en ont pas voulu, et les contrôleurs feraient bien de le renvoyer. » Gorani porte ainsi bien des jugements sommaires. Ce qui manque enfin à ses écrits, c’est le style. Son italien parait traduit du français et son français de l’italien. On a déjà vu, dans les passages de ses mémoires que nous avons cités textuellement, la mollesse et la gaucherie de ses phrases. Quelques-uns de ses ouvrages, notamment les Lettres aux souverains, sont écrits d’une plume plus correcte et plus vive ; mais nous savons qu’ils furent corrigés par son ami Pougens, l’un des rares