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Spectateur d’Addison, et qui eut deux ans de vie. Tout n’était pas or dans cette feuille périodique, cependant elle associa dans un travail commun des esprits cultivés et très actifs, — Pietro Verri, le père Frisi, Giovanni Visconti et d’autres, — qui attirèrent sur eux l’attention de nos encyclopédistes : il y eut dès lors entre Paris et Milan un fructueux échange d’idées et une féconde communion d’efforts. C’est du Café qu’est sorti le livre de Beccaria, des Délits et des peines, qui fut traduit en vingt-deux langues, et devint l’évangile des humanitaires, au moins jusqu’à la révolution. Ce Beccaria, dit Gorani, qui le vit souvent et longuement, « avait une tête vraiment encyclopédique, et toutes ses immenses connaissances étaient si bien classées dans son cerveau, il avait de plus des vues si originales sur tout, qu’il me fit plus de bien par sa conversation que je n’en obtins par la lecture de plusieurs milliers de volumes. Cet homme extraordinaire, à qui il ne manquait qu’un caractère plus ferme et une véritable grandeur d’âme, m’apprit à fixer mes idées sur chaque chose et à ne jamais précipiter mon jugement. » Dans sa vie solitaire de Lucernate et avec l’aide de Beccaria, qu’il allait visiter toutes les semaines, Gorani écrivit en italien son premier livre, Il vero Dispotismo, que beaucoup de critique ont jugé sans l’avoir lu. Ce n’est autre chose qu’un plan de gouvernement monarchique. À la vérité, le jeune auteur avait songé d’abord à jeter son état idéal dans le moule républicain, mais il avait renoncé à ce projet sur les sages avis de Beccaria, qui voulait bien revoir avec le plus grand soin les manuscrits du débutant et qui lui avait dit un jour : «Vous avez plus de matériaux dans vos notes et dans vos souvenirs pour un système monarchique que pour une rêverie républicaine. » Cette simple observation avait retourné d’un seul coup toutes les idées et tous les projets de Gorani. Il soutint, en résumé, dans son livre que, puisque le but des souverains est de se rendre despotes, le plus sûr moyen de réussir est de faire chérir leur administration, et de régner par des volontés meilleures que les lois écrites. « Je prouvais aux souverains, nous dit l’auteur, qu’ils ne pouvaient aspirer au despotisme aussi longtemps qu’ils se laisseraient gouverner eux-mêmes par leurs ministres, par leurs maîtresses ou leurs favoris. Un pareil ouvrage donnait lieu à beaucoup de détails sur les finances, le commerce, l’agriculture, l’économie, et, parmi ces détails, il en existait concernant la manière de former et d’entretenir des troupes plus formidables par leur attachement à l’état que par leur nombre. » En d’autres termes, Gorani rêvait un tyran d’Yvetot.

Pendant qu’il écrivait son livre, le cadet de famille avait des tracasseries domestiques, persécuté surtout par un de ses frères « qui ne passait pas un seul jour sans entendre deux ou trois messes et