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de l’état. Ce fut une véritable révolution intérieure, dont il importe d’expliquer la portée. Après la destruction des janissaires en 1826 et l’abaissement des ulémas, le sultan Mahmoud s’était trouvé omnipotent. Sous son successeur, le grand-vizir Rechid-Pacha, homme d’intelligence et d’énergie, conçut la pensée de constituer la Sublime-Porte ou le conseil des ministres, comme une sorte de pouvoir modérateur de l’autorité souveraine, et il réussit à obtenir d’Abdul-Medjid, son maître, que rien ne se fît à l’avenir sans l’assentiment de la Porte ; celle-ci, plus d’une fois, sut même résister aux volontés du padichah. Ali-Pacha et Fuad-Pacha continuèrent à cet égard la politique de Rechid, et, soutenus par l’influence de la France et de l’Angleterre, ils parvinrent à maintenir intacts les privilèges librement octroyés à la Porte. À son avènement au trône, Abdul-Aziz essaya, dit-on, de s’affranchir de ces entraves, et, par une décision personnelle, exila Riza-Pacha, l’ami et le confident de son frère Abdul-Medjid ; mais il ne put maintenir cette mesure et plia momentanément sous une volonté plus puissante que la sienne.

Dans les derniers mois de l’année 1871, Fuad et Ali étaient morts et ne laissaient aucun héritier de leur pouvoir et de leur influence ; la France n’était plus en mesure de faire prévaloir ses idées, et l’Angleterre ne voulait pas l’essayer. Le sultan se hâta de profiter de ces circonstances pour secouer le joug qui lui avait été imposé ; il prit diverses mesures destinées à anéantir toute résistance, affirma sa résolution de gouverner seul, et ne choisit pour grands-vizirs que des agens obéissans à ses volontés. La mort d’Ali-Pacha a donc été l’occasion d’une révolution politique au profit du pouvoir personnel du sultan et d’une protestation contre l’influence de la France et de l’Angleterre ; un parti considérable y a vu l’affranchissement du pays et la résurrection de l’ancienne puissance ottomane ; quant aux souvenirs de la campagne de Crimée et de bien d’autres services rendus, ils se sont dissipés comme les neiges d’antan. On peut expliquer par ce qui précède bien des actes du gouvernement turc depuis quatre ans et en particulier le nombre et l’impuissance des grands-vizirs.

Ali-Pacha portait dans un petit corps, d’apparence débile, une grande âme et une vaste intelligence, unies à beaucoup de fermeté. Les moindres ressorts du gouvernement aboutissaient à lui, et il avait sur les ministres et le sultan lui-même une influence extraordinaire. Dans ses audiences non interrompues, on ne le voyait jamais prendre de notes, et l’on assure que le soir, en rentrant à son palais, il dictait fidèlement à son secrétaire tous les actes de sa journée, sans jamais rien oublier. Ses vues étaient élevées, indépendantes de préjugés,