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Tu le recevras avec bonté, n’est-ce pas ? Il tremble de se trouver en face de toi, te croyant plus sévère qu’un autre.

— De quel droit le serais-je ? dit Morton. Je ne me rappellerai qu’une chose, le talent avec lequel il me fabriquait des bateaux quand j’étais petit. Au fait, c’est, avec le chagrin que vous a causé sa disparition, tout ce que je sais de lui. Moi aussi j’ai failli une fois vous faire souffrir. Pauvre Louis, où est-il ?

La mère passa dans une chambre voisine et ramena un homme de mauvaise mine dont la vue fit jeter un cri à Morton.

— Qu’est-ce que cela veut dire, grand Dieu ! Burchard, êtes-vous vraiment mon frère Louis ?

L’autre lui tendit timidement la main.

— En ce cas, j’ai double raison pour vous aimer, car vous m’avez rendu mon cheval et mon fusil, qui vous appartenaient par ma faute, et c’est vous qui m’avez sauvé au Trou de Brewer. C’est vous qui plus tard m’avez envoyé de nouveau un avertissement précieux.

— J’ai fait bien d’autres choses, dit le faux Burchard. — Il n’ajouta rien de plus à sa confession ce soir-là ; mais, le lendemain, quand, Patty étant arrivée avec le maître d’école, Morton voulut présenter son frère à miss Lumsden, Louis Goodwin dit avec un demi sourire : — Les présentations sont inutiles, elle me connaît bien ; sans elle je serais sous terre depuis longtemps.

— Comment ? balbutia Morton, qui retombait dans la stupéfaction.

— Elle m’a soigné malade, et cependant ce n’était pas Louis Goodwin ni le shérif Burchard qu’elle voyait en moi. Autant mettre la vérité au jour, Morton, et me débarrasser une fois pour toutes des déguisemens. Si vous me haïssez ensuite, tant pis.

Il rentra dans l’alcôve et revint avec sa longue barbe et son bonnet de peau de loup.

— Un brigand ! s’écria Morton avec horreur.

— Oui, le brigand Pinkey, que vous vouliez faire assommer dans le buisson et à qui vous avez donné la chasse à travers bois.

— Pinkey, qui vous a sauvé la vie, ajouta finement Patty. Morton était resté le sourcil froncé par une expression de mépris douloureux ; à ces mots, il se rapprocha de son frère.

— Ta main encore une fois, lui dit-il. Je suis content que tu sois revenu. Que Dieu te pardonne ! Je te connais bien, tu as été plus faible que méchant.

Patty s’était levée pour se rendre chez son père.

— D’abord, lui dit Louis Goodwin, laissez-moi mettre à vos pieds mon déguisement, auquel je ne toucherai plus.

Patty prit du bout des doigts le bonnet, la fausse barbe, et jeta au feu tout cela.