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Jamais jour de tempête ne finit plus doucement que la vie tourmentée d’Ézéchias Lumsden. Il avait défendu que sa tombe portât aucun nom, ne voulant rester, disait-il, que dans la mémoire de Nettie ; mais le docteur Morgan fit graver sur la pierre à chaux, qui abonde dans ces montagnes, l’inscription suivante : « Un vase d’albâtre rempli d’un parfum de grand prix. »

Patty avait reçu par l’entremise de Brady une lettre de son père lui enjoignant de revenir : il était cloué au lit par ses rhumatismes, les enfans se trouvaient abandonnés, le ménage était en désordre. Il s’étonnait qu’une si pieuse personne négligeât de la sorte ses devoirs les plus essentiels, et le lui reprochait comme si elle eût quitté la maison de son propre gré. Quelque rude que fût cet appel, la jeune fille y obéit avec empressement. Elle voulait à tout prix fuir Morton ; l’intimité qui s’était renouée entre eux auprès du lit de mort de Kike la faisait trop souffrir ; il lui était impossible de supporter ce contact de toutes les minutes, surtout en le voyant si agité lui-même, car les emportemens du vieil homme s’étaient réveillés chez Morton en présence de Patty, et il n’eût pas réussi peut-être à les maîtriser si d’autres sentimens presque aussi forts, — la douleur que lui causait la mort de son ami, le courage inspiré par un exemple héroïque, — ne lui fussent venus en aide.

Miss Jane Morgan ayant obligeamment proposé de remplir sa place jusqu’à la fin de l’année scolaire, la maîtresse d’école du Plateau des Noyers put partir sans retard avec Brady et sa femme. Sa dernière visite fut à la cabane où elle avait si longtemps et si patiemment soigné Pinkey : mais l’oiseau de proie s’était envolé. La veille déjà, elle l’avait trouvé debout et tout botté, essayant sa fausse barbe. Il était décidément incorrigible.

Morton, qui, lui aussi, voulait se rendre à Hissawachee pour quelques jours de congé avant d’entreprendre une mission lointaine, n’eut garde de confier ce projet à Patty, n’osant affronter sa société pendant le voyage qu’il eût été naturel de faire avec elle. Il partit par un autre chemin, et, grâce à Dolly, la précéda d’un jour dans sa colonie natale.

Inutile de décrire l’enthousiasme avec lequel il fut reçu. Le père Goodwin lui-même oublia momentanément ses doléances habituelles ; le jeune Henry, devenu presque un homme, contemplait son aîné d’un air de crainte respectueuse ; quant à la mère, sa première parole fut pour dire tout bas à Morton en le serrant contre son sein : — Ton frère Louis est revenu !

— N’avait-il donc pas été tué, il y a plus de dix ans, dans une rixe à Pittsburg ? s’écria Morton abasourdi.

— C’était une fausse nouvelle qu’il avait aidé lui-même à répandre.