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Lorsqu’ensuite elle l’aida, comme de coutume, à prendre son repas, il la regarda longtemps de cet air fixe qui dénote l’excès de faiblesse. — Vous qui êtes méthodiste, lui dit-il, avez-vous connu par hasard un jeune prédicateur ambulant du nom de Goodwin ?

Patty crut qu’il voulait pénétrer ses secrets et détourna la tête : — Nous sommes allés à l’école ensemble.

— Et moi, je l’ai entendu prêcher, il n’y a pas longtemps. C’est un brave homme.

— Il a toujours été le meilleur garçon de chez nous, répliqua Patty.

— Tiens ! fit le malade, on m’avait pourtant assure qu’il ne valait pas grand’chose dans le temps ; mais vous me direz qu’on peut se mettre à boire et à jouer pour s’étourdir quand on a du chagrin… Il a fait des sottises parce qu’une fille s’était moquée de lui ; une coquette sans cœur, je suppose ?

Patty devint très rouge et prétendit que l’heure de l’école ne lui permettait pas de rester davantage.

Le lendemain, elle ne put s’échapper que le soir pour sa visite quotidienne. En approchant de la cabane, elle vit des chevaux attachés à la porte, et craignit d’entrer à cette heure avancée ; ces chevaux n’appartenaient-ils pas à des brigands de la bande ? Revenue de bonne heure dans la matinée, Patty s’aperçut que les étrangers suspects étaient encore là. Ils parlaient haut, la porte ouverte. — Ce Pinkey sera toujours une poule mouillée, disait l’un d’eux.

— Il nous perdra, disaient les autres.

— Pourquoi ne l’avons-nous pas embarqué ?

L’entrée de Patty mit une brusque fin à la conversation. Elle traversa la première pièce sans les regarder, et passa aussitôt dans la chambre de celui qu’on appelait Pinkey. Le malade paraissait fort agité, il lui reprocha de l’avoir laissé si longtemps, et à plusieurs reprises répéta qu’elle ne devait plus le quitter. Quand le galop des chevaux résonnant au dehors l’eut averti que ses camarades étaient partis : — Il faut, dit-il d’une voix basse et précipitée en profitant du tapage que faisait dans la pièce voisine son hôtesse occupée à corriger les enfans, il faut que vous sauviez la vie d’un homme, la vie de Goodwin… Comme vous voilà pâle ! Jurez-moi que vous ne me trahirez pas.

Elle promit, aussitôt qu’elle put parler.

— Eh bien ! on doit le tuer dimanche, lorsqu’il traversera les bois du Chat-Sauvage. Il prêche à Jenkinsville à onze heures et à Salt-Fork à trois heures. On ne le laissera pas prononcer son second sermon… Les femmes n’inspirent pas de méfiance. Si un homme sortait de la colonie, ce serait différent, la consigne est donnée, il