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Nous nous inclinâmes, et, après que sa majesté se fut retirée, nous fîmes comprendre à ses ministres que nos usages ne nous permettaient pas d’accepter cet argent, et nous rendîmes les sacs, tout en insistant pour que sa majesté ne se froissât pas de ce refus. Les mauvaises langues affirment que, loin d’en être piqué, il éprouva un certain sentiment de satisfaction en voyant les six sacs d’argent rentrer au bercail.

En dehors des séances royales, il y avait les séances avec les ministres, et Dieu sait de quelle patience il fallut faire preuve avec ces braves gens. L’excellent père Lecomte, qui nous servait d’interprète, fit preuve d’un dévoûment sans bornes ; sa santé, déjà peu florissante, fut fortement ébranlée par les fatigues et les contre-temps résultant de ces longues discussions où la saine logique n’entrait pour rien. Que d’heures passées accroupis sur un mauvais tapis, par une chaleur accablante, pour n’arriver à aucun résultat !

Le traité français portait qu’il pourrait être l’objet de négociations ultérieures. Le gouvernement entendait par là que le traité de commerce pourrait être suivi de conventions décidant par exemple l’installation d’un consulat français à Mandalay, préparant quelques concessions importantes à des compagnies françaises, etc., mais la traduction birmane du jeune Pangyet-Wondonk laissait comprendre qu’à ce même traité, déjà voté par l’assemblée et signé par le président, on pourrait ajouter des articles nouveaux et modifier les anciens. C’en était trop, la colère du roi tomba sur Pangyet-Wondonk, qu’on retira d’auprès de nous ; il fut disgracié et interné, jamais nous ne le revîmes depuis. Il fut remplacé par un certain Moung-oung-thou, qui avait également passé plusieurs années en France, dont une à Saint-Cyr ; mais les allures cavalières et la familiarité de ce personnage nous obligèrent à le tenir toujours à distance. Il avait, pendant son séjour en France, saisi les mauvais côtés de notre éducation, contrairement à ce qu’avait fait son intelligent et malheureux compagnon. Les discussions sur le texte du traité continuaient toujours, et le gouvernement birman, devant la fermeté des envoyés français, en vint un jour à dire que ses ambassadeurs à Paris avaient outre-passé leurs pouvoirs en faisant le présent traité. Le gouvernement français avait donc eu affaire à de mauvais plaisans. — Il ne nous restait plus qu’à partir.

Devant cette décision, le gouvernement birman mit les pouces, et d’un commun accord il fut décidé que le roi signerait le traité tel qu’il était, mais qu’il se réservait le droit de l’annuler, si un deuxième traité préparé par lui n’était pas ratifié par le gouvernement français. Il décida donc l’envoi à Paris d’une ambassade devant obtenir la ratification de ce second traité et offrir des présens