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ancien ministre presbytérien qui pour cause de santé avait quitté le ministère, et le pria de l’accompagner au camp.

Dans la tente voisine de celle de Kike, on faisait la prière à la mode des méthodistes de ce temps-là, qui se croyaient obligés de témoigner de leurs luttes intérieures par des gémissemens, des amen et des alléluia à rendre sourd. Le docteur en fut tout consterné. — On ne peut imaginer de logement plus détestable pour un malade, dit-il.

— Je le sais, répliqua Morton, et j’ai fait de mon mieux pour en trouver un autre. Voyez comme la toile de sa tente est mince.

— Et ces bois sont très insalubres. Tout est mauvais dans vos camps. Le bruit seul suffirait à rendre fou.

Morton trouva que ce presbytérien avait des préjugés, mais n’osa les combattre, d’autant que le pauvre Kike, couché sur une mauvaise paillasse, serrait sa tête entre ses mains de manière à leur donner raison.

— Pourrez-vous, monsieur, vous tenir sur mon cheval ? dit M. Morgan en soulevant le malade.

Kike essaya, mais le frisson qui faisait claquer ses dents l’empêchait même de rester assis ; alors Morton alla chercher Dolly, lui confia son ami et se mit en croupe pour le soutenir.

— Où irons-nous, docteur ? demanda-t-il.

— Chez moi naturellement.

Durant tout le trajet, Kike ne se réveilla un peu que pour dire : — C’est toujours la même belle Dolly, mon vieux Mort’.

— Un peu plus calme ; nos promenades lui ont donné la gravité qui convient au ministère.

Il faudrait avoir grelotté, comme lui, sous les peaux d’ours, sur les feuilles mortes, sur la plume grouillante d’insectes des cabanes forestières, pour comprendre ce que Kike éprouva lorsqu’on retendit dans un lit bien blanc ; un pareil lit et la société de Morton, c’était comme un avant-goût du ciel ; le pauvre corps qu’un effort sublime avait tenu debout si longtemps céda enfin au mal qui le consumait. Maintenant il pouvait se donner le luxe d’être malade : les accès prirent le caractère défini de la fièvre bilieuse ; on connaissait du moins l’ennemi qu’on avait à combattre.

Morton passait presque tout le temps auprès de lui, ne le quittant que pour la conférence, à laquelle Kike manquait seul.

Aucun des prédicateurs ne sait d’avance où il sera envoyé ; aussi, malgré toute l’abnégation possible, la plupart étaient-ils fort anxieux à mesure qu’approchait le jour de leur nomination, Morton plus que tous les autres. Peu lui importait pour sa part d’être envoyé de nouveau dans les montagnes ou dans les marais, mais le sort de Kike l’inquiétait profondément. Quel poste l’évêque assignerait-il