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ne pouvait laisser échapper le moindre événement. Il attendit… Il vit Morton s’élancer presque aussitôt vers sa mère, qui fit ce que toutes les mères ont fait pour leurs enfans prodigues depuis le création du monde, elle lui ouvrit ses bras. Le père, persuadé qu’il avait été assassiné dans les bois, le regardait d’un air stupide en essayant de s’expliquer l’apparition de ce fantôme. Brady se vantait d’avoir prédit que son absence ne durerait pas plus de trois jours : un jour pour faire des folies, un jour pour le désespoir, un jour pour le repentir, et puis la réconciliation. La présence d’un étranger empêcha que cette réconciliation ne fût trop pathétique. Morton ayant dit, afin d’éluder des confessions plus délicates, les dangers qu’il avait courus, le maître d’école voulut lui-même placer une histoire merveilleuse en attendant qu’il allât colporter partout celle de l’enfant prodigue. — Et sais-tu ce qui est arrivé à Kike ? demanda-t-il.

— Rien de mauvais, j’espère ? fit Morton.

— Juges-en. Tu sais combien Kike aspirait autrefois à loger une balle dans la tête du capitaine ? Eh bien ! pas plus tard qu’hier le capitaine rencontre son neveu sur la route, et lui fait une scène à propos de tout ce qu’il avait osé lui dire dimanche dernier au meeting. Bon ! que fait Kike ? il recommence. Le capitaine l’interrompt par un soufflet. Je m’attendais à voir le petit lui répondre comme Magruder l’a fait à Bill, pas du tout !.. Il devient très rouge, puis encore plus pâle, et tend son autre joue. C’est pratiquer l’Évangile à la lettre… Tu penses que son oncle l’a traité d’hypocrite en jurant comme un païen. Depuis, il a le tremblement plus que jamais.

— Je me demande comment Kike a pu endurer cela, dit Morton pensif.

— Oh ! sans doute tu n’aurais pas agi de même ; tu n’es pas converti au méthodisme, toi ! Mais il faut que je m’en aille. Je loge pour le moment chez le capitaine.

Le capitaine Lumsden fut donc le premier à savoir ce soir-là que Morton était revenu, et l’histoire de la dette de jeu fut placée sous son véritable jour en présence de Patty, qui se félicita de n’avoir point douté de son amant. Le capitaine, cela va sans dire, n’avait pas manqué de lui rapporter toutes les calomnies débitées contre Morton ; il avait raconté les prétendues escroqueries du jeune homme à table devant toute la famille et tous les gens de journée ; mais l’effet de ses révélations avait été différent de celui qu’il attendait. Patty, loin d’accuser Morton, s’était bornée à le plaindre, en se promettant de ne pas l’abandonner. Sans doute il avait eu tort de jouer, mais c’était là peut-être le vice dont un gentleman devait le moins rougir. Sa mère ne lui avait-elle pas répété souvent qu’elle serait héritière d’une importante plantation sans la fureur de son aïeul