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— Vous n’allez pas me chasser quand j’ai fait cinquante milles d’une traite ?

— Pourquoi diable avez-vous fait ces cinquante milles ? Pour votre santé, je suppose ? Je n’ai qu’un mot à vous dire, étranger : En route ! et vite !..

Morton, qui s’était déjà installé au coin du feu dans la cabane, ne sembla nullement disposé à obéir.

— M’entendez-vous ? par le diable ! répéta son hôte.

— Je vous entends, et n’ai qu’un mot à vous dire, moi aussi. Je ne m’en irai pas. Vous n’avez point le droit de mettre qui que ce soit à la porte du temps qu’il fait.

— Prenez garde, je cours chercher les régulateurs !

— Faites, dit Morton, tirant son escabeau plus près du feu.

Le jeune homme qui l’avait si grossièrement traité le regarda stupéfait, et, plus que jamais persuadé qu’un brigand seul pouvait se montrer aussi hardi, changea de ton quelque peu.

— Si vous croyez que je suis un de ceux de Micajah Harp, reprit Morton, s’amusant à l’intimider, pourquoi ne me recevez-vous pas mieux ? La bande pourra bien vous en punir. Je n’ai pas mangé depuis hier et je meurs de faim.

— Mère, dit le gars, donne-lui à souper ; il a pris la maison, et nous ne sommes pas les plus forts.

Enchanté du succès de sa ruse, Morton fit un bon repas et alla dormir sur le foin du grenier ; mais en ouvrant l’œil le lendemain matin, il lui sembla entendre un grand nombre de voix dans la salle au-dessous de lui. Il s’habilla et descendit aussitôt. Les régulateurs avertis prirent au collet le prétendu voleur de chevaux, et Morton se vit au milieu d’une foule indignée qui lui reprochait à grands cris toutes les déprédations de la bande de Micajah Harp. Sans qu’il parvînt à se justifier, on le conduisit plus bas sur la rivière dans une taverne où se rendaient les jugemens selon la loi de Lynch. La multitude tout entière composait le jury et hurlait la sentence. Le vieux colon qui lui avait fermé sa porte parla le premier. — J’ai vu tout de suite, déclara-t-il, que la jument ne pouvait appartenir à ce gaillard-là, et je lui ai posé quelques questions à seule fin de l’embarrasser. N’a-t-il pas été assez bête pour me répondre, quand j’ai demandé par exemple si ce bel animal était à lui : — Pas précisément ? — Je l’ai prié de filer.

— S’il vous a répondu cela, il a menti à l’un de nous, dit le jeune homme chez qui Morton avait passé la nuit, car il est venu m’affirmer à moi que la jument était la sienne. Il m’a répondu en revanche qu’il ne savait pas où il allait. Là-dessus, j’ai vu ce qui en était, et j’ai voulu le chasser ; mais il est resté de force. Oh ! sans ma mère,