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les auteurs grecs, en revoyant les textes d’après les meilleurs manuscrits, en les accompagnant de traductions latines et d’index, il s’adressa d’abord à ses compatriotes. L’œuvre entière a été faite sous les auspices de l’état ; mais, deux volumes exceptés, tous ces ouvrages ont paru par les soins des professeurs de Leipzig, de Bonn et de leurs collègues. Le même éditeur a réimprimé le Thésaurus d’Henri Estienne. Notre pays s’honore à juste titre de cette entreprise monumentale ; les hellénistes allemands y ont presque seuls contribué. Un livre très français, publié par un écrivain qui connaît bien l’Allemagne, mais qui sait dire ce que valent nos qualités nationales, nous donne des chiffres d’autant plus instructifs qu’ils ont été réunis longtemps avant les préoccupations du temps présent[1]. Dans une période de dix ans, de 1857 à 1867, M. Vinet remarque que l’Allemagne a publié cent quatre-vingt-dix-sept traités consacrés à la grammaire grecque ; la seule année 1867 a produit quatre-vingt-sept ouvrages critiques sur les écrivains grecs. En moins d’un siècle, Pindare a été commenté deux cent quatre fois. Quiconque s’occupe de ces études sait que sur toute question les livres allemands sont d’ordinaire dix fois plus nombreux que les livres français. Récemment, un jeune professeur fut curieux de faire la liste des ouvrages allemands qui traitent du sénat romain : il en trouva plus de deux cents. Combien en pourrions-nous citer en France ?

Nous n’avons guère que trois ou quatre recueils qui soient réservés à l’érudition classique ; toutes les villes d’université en Allemagne possèdent le leur. La raison en est simple : ni les rédacteurs ni le public ne font défaut. Ceux qui composent en France des travaux sur des sujets peu familiers au public comptent bien qu’ils trouveront surtout des acheteurs au-delà du Rhin. Un pays qui écrit beaucoup et lit davantage doit avoir des moyens parfaits d’information bibliographique ; l’Allemagne sait jour par jour tout ce qui s’imprime en Europe, elle publie chaque année, dans tous les ordres de science, des répertoires qui sont excellens. Presque rien ne lui échappe, peu s’en faut qu’elle ne connaisse la France mieux que nous-mêmes ; elle a le génie de l’enquête, des index, des tables analytiques, des résumés complets et précis. Ce goût si général de l’étude a des conséquences plus sérieuses. L’Allemagne a rendu familières chez elle des sciences qui chez nous sont le privilège de quelques-uns. Elle possède de bons philologues par centaines. L’archéologie, qui en France passe encore pour un luxe d’amateurs éclairés, est estimée-des Allemands comme il convient ; ils l’ont admise

  1. L’Art et l’Archéologie, livre d’un érudit qui est un excellent humaniste, d’un antiquaire qui a le sens de l’art, de la mythologie et des poètes.