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de distraction pendant lesquels il avait le plaisir de ne plus s’imposer ni précision ni rigueur. Ses compatriotes l’ont jugé sévèrement. L’esprit de système, l’imagination, l’hypothèse, les passions personnelles à l’auteur, les choquent dans ce livre. Si l’ouvrage a les charmes d’un roman, il en a les incertitudes et les caprices. Chaque fois que l’auteur allemand aborde un sujet où les faits ne sont pas tout, nous ne pouvons plus avoir en lui qu’une confiance médiocre. Le tact et la mesure le garderaient du moins de trop grands périls, mais ces qualités ne sont pas de celles qu’il estime.

L’appareil érudit, qui est de rigueur en Allemagne, ne doit pas nous faire illusion. Le plus souvent l’écrivain n’est précis que dans un ordre de questions ; un historien par exemple cite presque toujours les monumens d’art avec une surprenante négligence ; l’archéologue donne des dessins inexacts qui faussent le caractère et le sens des œuvres qu’il étudie. En ouvrant ces livres compactes, d’autant plus respectés qu’ils sont plus mystérieux, nous sommes tout d’abord saisis d’une sorte d’humilité ; nous vénérons d’avance la vérité cachée dans les arcanes de ce lourd et sombre édifice. La question, pensons-nous, a été traitée définitivement. Regardez-y de près ; sur leur terrain même, dans les recherches de faits, ces auteurs impeccables ont souvent péché ; que de fautes n’ont-ils pas commises, si nous parlons du goût, qui, dans les choses de l’antiquité, est une partie de la science, de l’intuition, à laquelle il faut tant demander, du bon sens, qui résout les difficultés avec une vraisemblance voisine de la certitude ! Ne nous laissons pas intimider par le ton trop résolu des affirmations, par cette façon, passée de mode chez nous, de frapper à droite et à gauche sur ses devanciers. Cette critique, dépourvue de nuance et parfois brutale, ne s’attaque pas seulement aux ouvrages étrangers ; les Allemands s’en servent entre eux, ils y trouvent plaisir. Il faut y voir un reste des mœurs rudes d’autrefois, beaucoup plus que la mésestime réfléchie de leurs adversaires. Cette gravité acerbe est souvent aussi un artifice de guerre ; elle ne cache pas moins de défauts que la politesse et la modération françaises.

Le savant qui dédaigne la langue, l’ordre, la clarté, se prive d’auxiliaires précieux. Il commence par ne pas être compris des autres ; il arrive à ne plus se comprendre lui-même : il marche au milieu des ténèbres et à l’aventure. Ses recherches deviennent bientôt une habitude et une manie plutôt qu’une occupation intelligente ; il perd ce sentiment profond qui est l’âme de la bonne érudition, la passion de servir à la science générale. Par là s’expliquent les jugemens sévères portés sur les érudits, les reproches qu’on