Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 5.djvu/761

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de ce jargon, » dit Rabelais, ce qui n’empêche pas M. de Boislisle de donner sur chacun de ces termes de très curieuses explications. Non moins précieux que ces diverses sortes de revenus étaient certains privilèges, tels que l’exemption des impôts et des droits seigneuriaux ; Anne d’Autriche y ajouta la noblesse. La vénalité des charges, devenues héréditaires, donnait ainsi naissance à une classe nouvelle, à une sorte d’aristocratie qu’on put d’abord accuser, comme fait Rabelais, d’ignorance et d’incapacité, par allusion au temps où elle se composait de seigneurs et de courtisans plus que de juristes, mais qui réunit ensuite un grand nombre d’hommes graves et instruits, animés par l’esprit de corps à se transmettre certaines vertus, telles que le respect du devoir, le dévoûment au roi et à la patrie, la tradition de l’honneur et des bonnes mœurs.

Si la chambre des comptes occupait une si grande place, a-t-elle mis à profit son ascendant pour exercer une influence utile sur les affaires publiques ? Son action est-elle restée bornée à la sphère purement judiciaire et administrative, ou bien, comme les autres cours souveraines, comme la première de toutes, le parlement, a-t-elle eu quelque rôle politique ? Aperçoit-on sa trace quand on parcourt l’histoire générale des destinées de la France et de l’ancienne royauté ? À ces questions encore, le livre de M. de Boislisle, par les nombreux documens qu’il a recueillis, offre d’intéressantes réponses que nous essaierons seulement d’indiquer.


II.

Formées d’un démembrement de l’ancienne cour du roi, les cours souveraines conservèrent toujours en vertu de cette origine quelque partie de l’autorité générale dont cette cour disposait. La chambre des comptes en particulier, de qui dépendaient la conservation du domaine et l’administration financière, fut assurée par là d’une influence réelle dans l’état. Aussi bien que le parlement, elle prit une part directe, pendant les premiers temps de son existence comme cour spéciale, aux affaires communes, collaborant aux travaux du conseil et à la rédaction des ordonnances, rédigeant et signant au nom du roi les « lettres royaux » et réglant le taux des monnaies. Philippe le Valois lui conféra dans une circonstance exceptionnelle presque l’autorité d’un conseil de régence ; longtemps encore après cette époque, le conseil secret, qui comptait les plus grands personnages du royaume, se tenait dans la chambre des comptes. Jusqu’au temps de Louis XII, les souverains eux-mêmes y venaient quelquefois délibérer sur les affaires importantes. Après que ce roi eut attiré à lui tous les principaux attributs de la souveraineté,