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REVUE. — CHRONIQUE.

un acte d’amitié à l’égard de l’Italie, elle répondrait sans contredit à un désir du cabinet de Rome, sa résolution n’aurait point été provoquée par une démarche officielle qui n’a jamais été faite jusqu’ici. Tout se passerait simplement, sans apparence d’effort et de réserve. Y a-t-il des combinaisons par lesquelles on pourrait se proposer de suppléer à la présence de l’Orénoque, qui déjà ne servait à rien ? En fait de garanties, la plus sûre est encore l’engagement solennel pris par l’Italie de respecter, de faire respecter l’indépendance spirituelle du pontificat et la liberté personnelle du saint-père, les deux seules choses qu’on puisse songer à sauvegarder désormais. Au-delà ou en dehors de cette garantie, toutes les combinaisons risqueraient fort d’être peu comprises, de ressembler à des demi-solutions qui auraient l’inconvénient d’être probablement peu efficaces et peut-être de ne contenter personne. L’essentiel est de ne pas se laisser détourner du vrai but, de ne pas subordonner la direction supérieure, nécessaire de notre politique, à des arrangemens qui ne conduiraient à rien, qui ne feraient que diminuer le prix et affaiblir l’effet d’une résolution sérieuse.

Que M. le ministre des affaires étrangères, qui a déjà déployé un zèle prévoyant et avisé dans une situation difficile, que M. le duc Decazes ne s’y méprenne pas : il a en ce moment une occasion décisive ; il a entre les mains un moyen d’enlever aux partis une question dont ils abusent contre le pays et de fixer nos relations, notre politique au-delà des Alpes dans des conditions aisées et profitables. S’il espère par des palliatifs désarmer les passions de parti et de secte, il peut être tranquille, il ne réussira pas. Qu’il fasse revenir l’Orénoque par étapes, qu’il le mette à Villefranche au lieu de le ramener tranquillement à Toulon, qu’il imagine des arrangemens pour tâcher de tout concilier, pour paraître continuer encore à distance une mission protectrice à l’égard du saint-siège, on ne lui en saura aucun gré. On ne lui demande pas de transiger, on lui demande de traiter l’Italie en ennemie, de laisser, à côté du roi révolutionnaire qui est à Rome, la protestation vivante d’une force française, de s’ériger en gonfalonier de l’église en face de l’usurpation ! M. le duc de Bisaccia, qui a été à Londres un si brillant ambassadeur de high life, avant d’être heureusement remplacé par un vrai diplomate, M. le comte de Jarnac, qui pourra suivre sérieusement nos affaires avec l’Angleterre, M. le duc de Bisaccia se chargera certainement d’aller représenter cette politique à Rome, de mettre les Italiens à la raison et même de faire arriver l’Orénoque dans les eaux du Tibre, sous le château Saint-Ange ! Si M. le duc Decazes ne se déclare pas l’ennemi de l’Italie, il aura beau s’évertuer, il n’apaisera pas les ressentimens de la droite, qui éclatent déjà rien que sur le soupçon d’une négociation ; il n’aura pas mieux réussi que s’il avait rappelé purement et simplement l’Orénoque, de sorte que les sacrifices qu’il ferait par esprit de ménagement seraient faits en pure perte.