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ses flottes enfermées dans Cronstadt. N’y eût-il pas ces alliances de famille, l’intérêt politique le plus évident, le plus pressant ferait à la Russie, à l’Angleterre, une obligation d’entourer de leur sollicitude une indépendance que le Danemark, par lui-même, ne serait pas disposé à livrer. Certainement aux ouvertures directes ou indirectes qui ont pu ou qui pourraient lui être faites, le Danemark a dû répondre ou répondrait par le refus le plus absolu. Il tient à sa dignité de nation modeste, mais vaillante et honorée.

On a beau avoir l’air de se ménager contre lui des prétextes et lui faire un crime de songer à fortifier Copenhague : on a beau répéter que le temps des petits états est passé, que le Danemark sera obligé de suivre la loi commune, que dans les conditions actuelles il ne peut pas avoir une politique indépendante : l’Europe, qui a vu déjà de si étranges révolutions d’équilibre, n’est peut-être pas mûre encore pour celle-là. M. de Bismarck, tout prompt qu’il soit à satisfaire les appétits germaniques, est trop avisé pour brusquer de telles choses, pour violenter ouvertement un petit peuple qui même dans sa défaite a forcé l’Allemagne à le respecter, qui représente encore pour l’Europe bien des conditions de sécurité, qui enfin a tout pour lui, le droit, les sympathies universelles, et entre ces sympathies celles de la France ne sont pas les dernières. M. de Bismarck laissera discuter sur le Slesvig pendant que l’empereur Guillaume va dans le port de Kiel lancer des navires destinés, selon son langage, à porter le nom allemand sur les mers lointaines. C’est déjà bien assez dans une affaire qui reste un des élémens de la politique européenne, un des premiers jalons de ces événemens des dix dernières années, dont les conséquences ne sont point épuisées, par lesquels tout a été changé et aggravé.

Des difficultés, il y en a pour tout le monde, quoi qu’on en dise ; il y en a particulièrement pour la France, qui a tout à faire ou à refaire, qui a sa politique à dégager des contradictions, des incohérences accumulées par les événemens. Sans être facile, ce serait encore une œuvre patriotiquement simple, si à chaque instant les partis n’étaient pas occupés à tout obscurcir et à tout envenimer, au risque de nous créer une situation impossible, de donner des armes contre nous, de troubler ce travail par lequel la France a tout à la fois son équilibre intérieur à retrouver, ses traditions, ses relations dans le monde à renouer. On y arrivera sans nul doute parce qu’il le faut, parce que c’est une nécessité nationale ; l’essentiel est de savoir ce qu’on veut, ce qu’on peut et ce qu’on doit faire pour s’épargner au moins les complications inutiles et n’avoir que les embarras qu’on ne peut pas éviter. Les rapports de la France et de l’Italie ont heureusement triomphé jusqu’ici de toutes les passions de partis, même peut-être de bien des excitations ennemies. Ils ont repris depuis quelque temps aux yeux de tout le monde ce caractère de cordialité qui, on peut le dire, est dans