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REVUE. — CHRONIQUE.

été et qui restent au moins éventuellement reconnus. Les populations n’ont aucun motif de se montrer satisfaites d’une domination qui les blesse dans leur sentiment national, et, comme les œuvres de la force portent en elles-mêmes le germe d’inépuisables malaises, d’embarras toujours nouveaux, la Prusse, après huit ans, se trouve encore aujourd’hui en face d’une certaine agitation, non-seulement dans les districts contestés, mais dans la partie du duché définitivement annexée ; à l’agitation, la Prusse oppose la rigueur. Elle continue par la dureté administrative l’assimilation commencée par la conquête ; elle expulse des Danois sous les plus futiles prétextes. Elle exerce des vexations irritantes qui naturellement, au lieu de calmer l’agitation, ne font que raviver tous les griefs, en embarrassant peut-être le gouvernement de Copenhague lui-même, et de là renaît ce qu’on peut appeler encore une fois la question du Slesvig. À vrai dire, ces malheureuses populations si honnêtement, si obstinément fidèles à leur nationalité se voient placées dans une condition cruelle. Si elles restent calmes, si elles se taisent, on interprète leur silence et on dit : Vous voyez, tout est fini, le Slesvig est allemand et veut rester allemand. Le traité de Prague a été une concession faite à des circonstances qui n’existent plus, une œuvre d’une application inopportune et impossible, il n’y a plus à en parler. — Si les populations résistent pacifiquement de toute la force de leur instinct national, si elles s’agitent et protestent contre la violence qui leur est faite, on commence par sévir, puis on se retranche dans sa dignité, on dit qu’on ne cédera pas à la pression populaire, qu’il n’y a rien à examiner pour le moment. Depuis huit ans, le moment n’est pas venu.

Que faire ? la partie n’est certes point égale entre la toute-puissante Allemagne et ces 200,000 Danois, eussent-ils l’appui moral du cabinet de Copenhague, intéressé lui-même à une solution qu’il désire sans pouvoir l’obtenir. La question est sans issue, à moins que M. de Bismarck n’ait sa solution à lui, sa manière d’exécuter le traité de Prague par la combinaison qu’on lui a prêtée. Le chancelier de Berlin aurait eu, dit-on, l’idée d’offrir au cabinet de Copenhague de lui rendre le Slesvig à la condition que le Danemark entrât dans l’empire d’Allemagne, comme la Bavière et la Saxe. Ce serait positivement un moyen hardi d’avoir d’un seul coup un peuple de matelots, des ressources maritimes et les clés de la Baltique. S’il a eu cette pensée, M. de Bismarck n’a point sans doute tardé à voir les diflicultés qu’il allait rencontrer. Tout petit qu’il est, le Danemark a de belles alliances. Une fille du roi est mariée au prince de Galles, et l’Angleterre, si partagée qu’elle soit dans ses affections entre Berlin et Copenhague, n’aurait probablement pas aidé au succès de la combinaison. Une autre fille du roi de Danemark, la princesse Dagmar, est mariée au prince héritier de Russie, au czarevitch, et la Russie, en outre, n’aurait pas manqué de se demander si, par amitié pour l’Allemagne, elle devait s’exposer à voir un jour ou l’autre