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pas être dédaignés. Les deux chasseurs au contraire se joignirent avec entrain à l’expédition, et Morton se distingua parmi les plus turbulens.

Après cette trêve à leurs fatigues, ils se remirent à faire provision de chair d’ours et de daim. Cette absence parut longue à plusieurs. Job Goodwin ne cessait de prédire que son fils périrait dans les bois, Mme Goodwin redoutait les mauvaises influences auxquelles vous livre l’excitation de la chasse, elle tremblait que Morton ne prît les habitudes funestes qui avaient conduit son aîné à une mort violente et prématurée. Et Patty ! Le jour où le capitaine, dans un accès de colère, renvoya au pauvre Morton le dinde qu’il avait tué pour elle, Patty se comporta en fille fière. Elle ne laissa pas échapper un mot de blâme, également incapable d’avouer ses sentimens secrets pour Morton, ni de témoigner à son père une basse soumission. Ce calme souverain de Patty faisait l’admiration du capitaine ; il y voyait un signe de race. Patty termina sa tâche accoutumée et mit le ménage en ordre avec un soin aussi minutieux qu’à l’ordinaire. Cependant, lorsqu’elle fut remontée dans sa chambre, son petit miroir lui montra, au lieu du visage insouciant qu’un effort d’énergique volonté lui avait permis de garder devant le monde, un visage tout différent, pâli, triste et fatigué. Elle réussit à se contenir encore ; mais, la lumière éteinte et sa tête enfoncée dans l’oreiller, elle fondit en larmes.

À mesure que s’écoulait le temps, et lorsque son père eut cessé de prononcer jamais les noms de Kike et de Morton, partis elle ne savait où, Patty sentit croître en elle le désir de revoir l’absent qu’elle aimait… Elle ne pouvait plus en douter maintenant ; plus elle cherchait à étouffer cet amour, plus il prenait possession de tout son être. Des chasseurs passaient-ils devant la porte, elle courait involontairement les regarder ; l’instant d’après, il est vrai, elle se reprochait sa curiosité… Que lui importaient les chasseurs ? Un soir enfin, ceux qu’elle attendait passèrent à leur tour, les vêtemens déchirés aux ronces, le pas lourd et traînant, car ils voyageaient depuis l’aube. Patty reconnut aussitôt le vieux Blaze, quoiqu’il fût surchargé de venaison et de peaux. Elle remarqua aussi le long regard que fixa Morton sur la maison du capitaine, car une vive rougeur couvrit ses joues ; mais, son père étant parti au galop dans la direction qu’avaient prise les jeunes gens, son plaisir se changea vite en crainte. De leur côté les deux camarades, quand ils entendirent un cheval les poursuivre à fond de train, et qu’ils reconnurent Lumsden, ne laissèrent pas d’éprouver une vive émotion. Morton s’étonna, sachant que ce n’était pas l’habitude du capitaine d’attaquer l’ennemi en face. Kike serra les lèvres après avoir