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France à partir de 1852 servit en grande partie à favoriser le développement industriel et commercial de la Péninsule ; des entreprises par actions furent fondées où afflua l’argent des souscripteurs français : pour ne citer qu’un exemple, les chemins de fer de l’Espagne ont été presque entièrement construits avec des capitaux français ; ce fut de ce fait une dépense de plus de 2 milliards 1/2 de francs. Aujourd’hui les actions des chemins de fer espagnols sont à peine cotées sur la place, grâce aux exploits des bandes carlistes, qui journellement coupent la voie, détruisent le matériel, incendient les stations et pillent les caisses des compagnies. En même temps le commerce par la route de terre avec le centre et le» sud de la Péninsule est devenu impraticable, bien des maisons françaises ont à souffrir cruellement de la prolongation de la guerre ; mais il est une considération plus grave encore.

Si l’on songe à l’état précaire des relations entre les divers gouvernemens de l’Europe, aux complications politiques qui peuvent surgir d’un moment à l’autre, on reconnaîtra sans peine que la sécurité de la France lui commande d’entretenir tout particulièrement de bonnes relations avec cette voisine ombrageuse. Il y a soixante ans, Napoléon Ier, perdu dans les neiges de la Russie, comprenait que son plus grand danger était le peuple soulevé qu’il avait laissé derrière lui à l’autre extrémité du continent, et ce fut en effet la fin de sa fortune. Depuis lors au contraire, dans les différentes guerres que la France a eu à soutenir, rassurée qu’elle était du côté des Pyrénées, elle a pu porter ailleurs toutes ses forces. On voit donc les inconvéniens d’une politique qui, en prolongeant l’insurrection carliste, porterait atteinte aux intérêts des nationaux français et détacherait de la France les sympathies du peuple espagnol. Les légitimistes eux-mêmes, qui veulent fonder sur le retour de la monarchie légitime le rétablissement de la puissance française en Europe, sont allés contre leur but ; la solidarité qu’ils ont travaillé à établir entre leur prince et don Carlos leur a aliéné bien des esprits, et du jour où la restauration de Henri V serait un fait accompli, l’Espagne, elle aussi, comme la Prusse et l’Italie, serait pour lui une ennemie assurée. Puisque le carlisme ne peut triompher et qu’il n’est bon qu’à ruiner le pays, puisqu’il y est détesté et avec lui tous ceux qui le favorisent, puisqu’on France la guerre civile paraîtrait un crime aux yeux même des plus impatiens, et qu’après tout le parti légitimiste, libéral encore en un sens, ne voudrait pas ici d’un absolutisme fanatique et intransigeant, il fallait que le gouvernement français prît ouvertement l’initiative de la reconnaissance du gouvernement de Madrid, et, sans intervenir en propre, l’aidât de tout son pouvoir à rétablir l’ordre au-delà des monts.

Ce rôle que la France avait négligé de prendre, la Prusse adroitement