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Bayonne ; dans tel magasin de la même ville, on vend des revolvers et d’autres fournitures militaires portant les initiales et le chiffre de Charles VII. La princesse Marguerite enfin, femme de don Carlos, se tient sur la frontière ; petite-fille de Henri IV, protégée par les souvenirs glorieux de sa famille, elle ne s’occupe, a-t-on dit, que de procurer des secours aux blessés et aux malades ; en réalité, sa présence est une sauvegarde pour les agens et les comités carlistes.

Comme il fallait s’y attendre, l’opinion publique s’est vivement émue au-delà des Pyrénées de cette indifférence excessive d’une nation amie et alliée, et si, dans ses réclamations, le représentant de l’Espagne à Paris a su conserver toujours le langage de la plus fine courtoisie, il n’en est pas ainsi d’une grande partie de la presse, qui s’est laissé emporter contre la France et les Finançais jusqu’à l’outrage et aux menaces. On a oublié les services tout récens encore que la France avait rendus à sa voisine pendant l’insurrection de Carthagène ; on a oublié avec quel empressement elle avait restitué la Numancia aux autorités espagnoles, comment elle avait à ses frais logé, nourri, habillé les fugitifs, livré les condamnés non politiques et interné les autres, comment enfin, seule parmi les puissances dont les nationaux avaient souffert dans les bombardemens de Carthagène, de Valence, d’Alicante et d’Almeria, la France ne s’était point fait payer de dommages-intérêts alors que l’Angleterre, l’Allemagne surtout, ont réclamé avec une certaine vigueur le paiement immédiat d’une indemnité ; on n’a tenu aucun compte des difficultés intérieures qu’elle traverse et qui font un devoir au gouvernement de ménager les opinions d’un parti puissant ; on l’a accusée de déloyauté et de perfidie, on a rajeuni contre elle les vieux griefs qui datent de la guerre de l’indépendance. Au dire des journaux madrilènes, la France se serait rendue coupable d’une violation ouverte du droit des gens et comme d’une intervention en faveur des carlistes : un d’eux ne parlait-il pas de dénoncer officiellement le fait aux puissances étrangères ? Grâce à ces attaques incessantes et passionnées, l’opinion en Espagne s’habituait à voir dans le gouvernement français un ennemi de la cause libérale. Bref, quand la Prusse est intervenue dans le débat et s’est offerte à provoquer en Europe la reconnaissance du gouvernement de Madrid, tous les Espagnols sont allés à elle non moins dans le désir de répondre ainsi à l’hostilité supposée de la nation voisine que de se ménager pour l’avenir un utile et puissant allié.

Et pourtant, plus qu’aucun autre peuple en Europe, la France est intéressée à demeurer avec l’Espagne dans les termes d’une bonne et franche amitié ; il lui importe que l’Espagne soit heureuse et prospère et puisse exploiter librement les ressources sans nombre d’un sol privilégié. L’exubérance de richesse qui se manifesta en