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armes, vêtemens, munitions, qu’ils ne sauraient trouver dans leur propre pays. Ils possèdent, il est vrai, plusieurs fabriques d’armes qui fonctionnent régulièrement, car, outre celles que les carlistes ont créées eux-mêmes, les libéraux, en abandonnant les provinces, négligèrent d’emporter ou de détruire le matériel ; mais, pour la plupart, les canons ou les fusils dont ils se servent ont été achetés par leurs agens à l’étranger. On sait l’échange de notes diplomatiques auquel ont donné lieu récemment entre les deux gouvernemens de France et d’Espagne les facilités plus ou moins déguisées que trouveraient les carlistes sur le territoire français. M. le duc Decazes a pu dire non sans raison qu’à plusieurs reprises des saisies importantes d’objets prohibés avaient été opérées par les autorités françaises à la frontière, que la contrebande de guerre avait lieu non-seulement par terre, mais aussi par mer, où, en dépit de la surveillance exercée par les croiseurs espagnols, des navires anglais et américains étaient venus débarquer leur chargement sur la côte insurgée, qu’enfin le bon vouloir des douaniers français est trop souvent rendu inutile par la négligence des agens espagnols ou l’état même du pays, en grande partie occupé par les carlistes et si difficile à garder. Ce que le ministre ne pouvait dire, c’est que les Basques français ont avec les Basques d’au-delà des monts des liens étroits d’origine et de sympathie ; il y a là en outre une question d’intérêt. La guerre ayant tué le commerce habituel, les carlistes par leurs achats de matériel de guerre sont les seuls cliens des négocians des Basses-Pyrénées ; ils prodiguent l’argent, ils achètent, on leur vend : les négocians de Londres ou d’Hambourg n’ont guère été plus scrupuleux ; mais, cela mis à part, sans aucun but intéressé, beaucoup dans le pays font loyalement des vœux pour la cause de don Carlos, et après tout l’Espagne aurait mauvaise grâce à trop s’étonner que les habitans de deux ou trois départemens français aient des opinions conformes à celles d’un si grand nombre d’Espagnols. Quoi qu’il en soit, on ne saurait nier que les insurgés n’aient à certain moment trouvé en France une tolérance qui les dispensait presque du titre de belligérans. Dans toutes les villes frontières jusqu’à ces derniers temps étaient établis des juntes ou comités carlistes qui avaient leurs bureaux et délivraient des passeports, des permis ; au vu et au su de tous, les achats d’armes, de munitions, de chevaux, se faisaient journellement pour le compte de l’insurrection ; les transports s’effectuaient à dos d’homme ou de mulet par les défilés presque impraticables de la montagne, plus souvent encore par les eaux de la Bidassoa, qui appartient de moitié aux deux peuples et où des barques carlistes stationnent continuellement. Un journal carliste, la Voix de la Patrie, rédigé moitié en espagnol, moitié en français, paraît encore à