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au carlisme un triomphe impossible, du moins imprimer aux événemens une marche un peu plus active : c’est Cabrera. Vétéran, lui aussi, de la première guerre carliste, il s’était fait un nom à côté de Zumalacarregui, et, bien que trop souvent il eût déshonoré ses victoires par d’atroces cruautés, son énergie, son courage, son expérience des choses militaires, lui assuraient sur les siens une incontestable autorité. Il était un des rares qui fussent restés fidèles jusqu’au bout à la cause vaincue, et qui, même après Vergara, n’eussent jamais voulu profiter d’une amnistie. Retiré en Angleterre, il avait épousé une protestante ; la haute position de fortune qu’il dut à son mariage augmentait encore son prestige ; mais cette vie à l’étranger, au milieu d’un peuple libre et hérétique, n’avait pas été sans influer beaucoup sur les tendances de son esprit ; il s’était ouvert peu à peu aux idées libérales ; peut-être aussi se souciait-il médiocrement de recommencer, vieux et riche, l’existence aventureuse de ses premières années. Quand en 1870, à Vevey, se réunit cette assemblée où s’agitèrent les projets et les espérances du parti carliste, Cabrera se montra contraire aux plans du plus grand nombre ; il paraît même probable qu’il désavoua la guerre civile. On ne l’écouta pas, et il rentra sous sa tente. Aujourd’hui, tout le parti affecte pour lui un profond dédain, et, dans des lettres rendues publiques, don Carlos ne veut voir en lui qu’un rebelle. Il est hors de doute cependant que des démarches ont été faites à plusieurs reprises auprès du vieux guerillero, et qu’il a toujours imposé, pour prix de ses services, des conditions qu’on a jugées inacceptables, en premier lieu l’élimination des influences apostoliques. Le carlisme y a perdu le plus expérimenté de ses généraux.

Du reste, dans ce parti, tout homme de quelque valeur, à supposer qu’il pût percer, serait bientôt sacrifié ; il se heurterait au mauvais vouloir, à la jalousie des familiers qui forment la petite cour et occupent l’oreille du prétendant. Si les libéraux ont à souffrir des divisions intestines, cette cause d’affaiblissement existe encore bien plus pour leurs adversaires. C’est la camarilla qui fait et défait les généraux ; les intrigues se croisent, les alliances se forment, se dénouent, et l’armée subit le contre-coup de ces révolutions de palais. À peine un général garde-t-il trois mois son commandement, puis est aussitôt disgracié. Plusieurs tendances se trouvent en jeu : d’abord les représentans des vieilles idées carlistes, les successeurs du groupe apostolique, prépondérant autrefois dans les conseils de l’aïeul comme ils le sont aujourd’hui dans ceux du petit-fils. On peut voir chez les historiens ce que fut de 1833 à 1840 ce groupe apostolique, ses doctrines, ses tendances, son incapacité, sa tyrannie, son hostilité constante contre tout homme intelligent de son propre parti et le mal qu’il fit à sa cause. Les