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d’Amédée, surpris à Oroquieta, le prétendant, précipitamment, repassa la frontière ; ses partisans continuèrent faiblement la lutte, et au bout de trois mois tout se termina par le traité d’Amorevieta, pâle copie de celui de Vergara. Vint la république ; les républicains, de tout temps, avaient promis l’abolition de la conscription et la suppression de l’armée. Quand ils arrivèrent au pouvoir, au mois de février 1873, le général Cordoba venait, entre autres mesures, de dissoudre le corps d’artillerie. Il n’était pas possible, à cause des carlistes qui tenaient encore en Catalogne, de décréter la suppression complète de l’armée ; on prit du moins un moyen terme, on en conserva ce qui restait pour l’opposer au carlisme, mais par tous les moyens on travailla à détruire chez elle les traditions d’honneur et de discipline. Le brigadier Cabrinetti, — c’est le grade au-dessus de colonel, — tué plus tard devant l’ennemi, descendait de cheval et se mettait à marcher à pied quand ses soldats lui en donnaient l’ordre en raillant. Certes Cabrinetti était un homme de cœur, il ne se ménageait pas à l’occasion, comme le prouve sa fin ; mais il croyait sans doute plus utile ou plus glorieux de mourir de la sorte que dans une tentative de rétablissement de la discipline, alors que le gouvernement central, bien loin de lui prêter appui, favorisait publiquement les fauteurs de l’insubordination. Le colonel Martinez voulut essayer ce que Cabrinetti jugeait inutile ; il fut assassiné par ses soldats au mois d’avril 1873, et les coupables ne furent punis qu’au mois de mai de l’année suivante ; jusque-là, ils n’avaient pas même été inquiétés. On comprend les effets d’un pareil système. Les soldats refusaient de se battre ; dès qu’ils apercevaient les carlistes, prétextant la grande portée de leurs armes, ils se couchaient à plat ventre sur le bord du chemin et commençaient le feu. Ils brûlaient ainsi 15,000 ou 20,000 cartouches, chacun ensuite reprenait sa marche, et la Gazette de Madrid, tout au long, racontait le combat livré en tel ou tel endroit : ni morts ni blessés ! Cela dura jusqu’en septembre, et pendant six ou huit mois les carlistes eurent le temps de se recruter, de s’organiser, de s’aguerrir. Dans une population aussi dense que celle des provinces basques, il est facile de réunir un millier d’oisifs, d’esprits aventureux ; les contrebandiers sont nombreux, grâce aux tarifs de douane élevés qui rendent la fraude lucrative. Tels étaient les élémens dont se composait la bande du curé Santa-Cruz : physiquement splendide, moralement prête à tout. 3,000 ou 41,000 hommes, — le général Castillo, illustré plus tard par la défense de Bilbao, n’en demandait pas davantage, — auraient eu bon marché, au début, de ces embryons d’armée : ils ne vinrent pas ; alors quelques bandes de forcenés se mirent en devoir de parcourir toutes les provinces basques ; sans rencontrer un ennemi, ils arrivaient dans les villages