Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 5.djvu/626

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

milieu de l’assentiment général. S’il existe, comme on l’a dit, quelque vice de forme dans la promulgation, si plus tard, affaibli et malade, Ferdinand VII put songer un moment à se rétracter, la reconnaissance de doña Isabel comme héritière du trône par les cortès solennellement réunies à cet effet n’a-t-elle pas rendu au décret toute la validité dont il était susceptible[1] ?

Aussi bien la légitimité n’a été que le prétexte de la guerre civile. Ce qu’il faut voir dans cette guerre, c’est la lutte de l’absolutisme contre le libéralisme, c’est l’esprit d’intolérance aux prises avec les idées nouvelles de civilisation et de progrès, c’est le fanatisme armé se mettant au service d’une branche cadette, avide, ambitieuse, sans scrupules, et luttant avec elle sous le manteau de la religion contre les lois du royaume. L’insurrection de 1827 ne permet pas de s’y méprendre. Ceux qui dès lors prenaient le nom de carlistes ont essayé de se substituer, eux et leur chef, au souverain légitime. Ce qu’ils avaient tenté contre un roi viril et peu enclin à la clémence, ils devaient le tenter à plus forte raison au milieu de la faiblesse et des embarras d’une minorité ; ils se fussent révoltés contre un successeur mâle de Ferdinand VII, de même qu’ils l’avaient fait contre celui-ci. L’insurrection de 1827 est la même qui se continue en 1833 et renaît de nos jours ; mais à la mort du dernier roi elle prend un masque de légalité qu’elle n’avait pas à l’origine, et qu’elle s’obstine à garder depuis.

Un dernier argument, tout moral, contre la légitimité des prétendans, c’est la conduite de l’aristocratie espagnole dans les deux guerres civiles. Quel est l’intérêt de cette noblesse ? Don Carlos lui promet ce qui peut le mieux la séduire : la perpétuité des biens, la conservation de l’éclat et de la grandeur, en un mot les substitutions, les majorats ; les libéraux lui imposent au contraire le partage égal entre les enfans, le code civil français, l’égalité, la disparition prochaine, et cependant elle n’hésite point. Le marquis de Villafranca, duc de Medina-Sidonia, deux ou trois grands noms avec lui, suivent la cour de don Carlos en 1834. Les autres, à commencer par les ducs de Medina-Celi, légitimes héritiers de la couronne comme descendans par les femmes de l’infant don Alphonse, petit-fils de saint Louis, dépossédé par un usurpateur[2] ; après eux, les différentes

  1. Remarquons au surplus que, par une condition expresse, Philippe V exigeait que l’héritier mâle de la couronne fût né sur le sol de l’Espagne ou des colonies espagnoles et y eût été élevé ; or le prétendant actuel est né en Italie et a toujours vécu à l’étranger. S’il invoque son titre de citoyen espagnol comme fils d’un père espagnol, ce ne peut être qu’en vertu de la constitution de 1845, qui elle-même reconnaît la légitimité d’Isabelle II.
  2. Les ducs de Medina-Celi avaient jusqu’à ces derniers temps dressé dans leur jardin une potence leur annonçant le sort qui les attendait, s’ils songeaient jamais à faire valoir leurs droits.