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on invoque la variabilité des espèces au sein de la nature. Nous soumettons à l’examen le plus scrupuleux une foule de plantes et d’animaux, toute incertitude est écartée ; il y a souvent une étonnante ressemblance entre les individus disséminés sur de vastes espaces, parfois des variations dans la taille, dans les couleurs, dans l’aspect, mais aucun caractère important n’est affecté, partout le type spécifique demeure ; le naturaliste ne peut hésiter à le reconnaître lorsque l’étude a été suffisante. Les curieuses modifications qui surviennent chez les animaux domestiques et chez les plantes cultivées sont décrites, les résultats de la sélection sont rappelés dans le dessein de convaincre que les êtres peuvent subir d’énormes changemens. Portant une sérieuse attention sur le sujet, nous n’apercevons que de simples altérations des traits superficiels, nous reconnaissons la dégénérescence, nous constatons des anomalies de l’organisme et toujours l’empreinte de la domesticité chez les animaux, les signes de la culture chez les plantes. Le retour presque immédiat à l’état primitif des créatures qui échappent à l’action de l’homme rend manifeste à tous les yeux la persistance des types ; l’impossibilité de dénaturer une espèce se prouve par la multitude et par la durée des expériences. À la lutte pour l’existence, on impute la mort des individus chétifs, la survivance des individus les plus robustes ou les mieux doués ; par suite, on imagine un continuel accroissement de perfection pour les êtres. Nous nous assurons que, dans les combats pour la vie, les hasards servent les faibles aussi bien que les forts, que la ruse supplée à la vigueur souvent avec succès, que la faculté procréatrice pour toutes les espèces est dans un rapport merveilleux avec les chances de destruction. Avec un art consommé et d’habiles détours, on attribue à la sélection naturelle des métamorphoses à la fois lentes et infinies ; oubliant combien l’hérédité se montre capricieuse, on veut croire que chaque avantage obtenu par la créature se transmet à sa postérité et se prononce de plus en plus dans les générations successives ; on considère les heureuses appropriations de certains êtres à des conditions de la vie très particulières, et l’on déclare qu’elles ont été acquises par l’influence des milieux. Le spectacle de la nature nous emporte loin de ces rêves. Les exemples de sélection inconsciente ne se découvrent nulle part. Les individus les plus disparates s’unissent, les extrêmes se mêlent dans la masse ; tout concourt à maintenir les types. Les êtres jouissant de signes extérieurs propres à les garantir contre les périls ne les perdent à aucun degré dans les circonstances où ils vivent et se propagent sans graves dangers ; lorsqu’ils habitent des localités où le vêtement cesse de les dissimuler, ils ne s’approprient point au milieu.