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possible, également vrai pour les premiers. » Sollicité par l’évidence des faits, Agassiz dira encore : « Les poissons inférieurs ne se montrent qu’à la dernière période de l’histoire de notre globe, à celle qu’on appelle la période actuelle, à celle dont nous datons nous-mêmes. Voilà qui est loin certes de ressembler à une série bien enchaînée, commençant par les formes les plus basses pour finir par les plus parfaites, car les poissons supérieurs arrivent les premiers, et c’est seulement à la fin que viennent les espèces inférieures. » Sur ce point, la réserve cependant paraît nécessaire. On n’a pas trouvé dans les anciennes formations géologiques de poissons analogues à nos lamproies, mais un jour peut-être on en trouvera. La coexistence prouvée des types d’organisation inférieure et des types comptant au nombre des plus riches organismes n’occasionnerait aucune surprise ; elle est du monde actuel ; d’après l’ensemble des notions acquises, elle a été plus ou moins de tous les âges. Les compagnons des sélaciens, aux périodes géologiques, étaient ces curieux ganoïdes qui font partie des représentans les plus élevés de la classe des poissons ; ce sont aussi des mollusques, des crustacés étranges, comme les trilobites et d’autres formes offrant une parenté zoologique avec les limules[1]. Les crustacés sont en quantité dans les terrains siluriens et devoniens qui reposent sur les couches où l’on a observé les premières traces de la vie sur le globe. Les trilobites dénotent une structure très complexe ; le principal historien de ces curieux animaux fossiles, M. Barrande, a recueilli en Bohême de si nombreux individus de certaines espèces qu’il a pu reconnaître les changemens qui survenaient dans les formes extérieures par les progrès de l’âge. Qu’on juge maintenant si les êtres marins des temps les plus reculés peuvent être pris pour les formes embryonnaires des poissons, des mollusques, des crustacés répandus dans les mers du monde moderne.


V.

Les vues du savant qui essaya d’expliquer l’origine des êtres ont été rappelées, des faits mis en lumière par l’observation et l’expérience ont été signalés ; une contradiction perpétuelle est apparue. Dans un cadre étroit, mettons, encore un instant en présence l’hypothèse et la réalité.

Supposant les êtres capables de se modifier dans les plus larges limites et admettant qu’un type est l’origine de formes très diverses,

  1. Il existe aujourd’hui dans les mers deux espèces de limules qu’on désigne vulgairement par le nom de crabes des Moluques. L’une en effet habite les parages de la Malaisie et l’autre les côtes d’Amérique.