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20 septembre. — Aujourd’hui Tristan m’a conduit dans les bois de Charbonnière, du côté du Val-Clavin, en me disant : — Je t’ai montré mon jardin, il est juste que je te fasse connaître aussi mon verger. — Nous avons traversé un taillis en pente, sillonné de ruisselets d’où les merles et les grives partaient à chaque instant par volées. — Ils viennent, reprit Tristan, s’y baigner et boire frais, quand leur déjeuner d’alizés, de prunelles et autres baies astringentes leur a trop asséché le gosier. Te voilà ici dans le grand fruitier de la forêt ; de quelque côté que tu te tournes, tu verras des fruits pendre aux branches des arbres et des arbustes. En mère attentive, la forêt donne à ses enfans non-seulement un bon gîte, mais encore un bon souper, et, avec cette grâce aimable qui n’appartient qu’aux mères, elle sème au dessert ses plus belles fleurs sur la nappe verte afin de réjouir les yeux de ses convives, en même temps qu’elle apaise leur appétit. À peine juin est-il à moitié de sa course, que les fraises et les framboises parfument les fourrés ; puis viennent les merises noires, chères aux loriots ; mais c’est surtout en automne que la forêt prodigue ses largesses. A la Sainte-Madeleine, comme dit le proverbe, les noisettes sont pleines, et les coudraies feuillues tendent vers nous les amandes jumelles, encapuchonnées dans leurs cupules si curieusement déchiquetées. C’est là que les écureuils viennent faire leurs provisions d’hiver. Les prunelles bleuissent aux haies ; les pommes et les poires des bois étalent leurs fruits âpres, d’un vert pâle, au milieu du feuillage rougissant des sauvageons. Les baies des cornouillers, semblables à des olives vermeilles, achèvent de mûrir à côté des épines-vinettes cramoisies, et du haut des aliziers pendent les bouquets bruns des alizés, pareilles pour le goût et la couleur à de petites nèfles. Les chênes font pleuvoir leurs glands, et les sangliers s’en régalent. De la Saint-Michel à la mi-novembre, le fruitier est toujours abondamment rempli ; mais le plus riche produit du verger forestier est encore le fruit du hêtre : la faîne. Vers la fin de septembre, les capsules rougeâtres et rugueuses des hêtres s’entr’ouvrent, les faînes s’en échappent, deux à deux, avec un bruit sec ; le sol est jonché de leurs graines brunes et triangulaires. Alors tous les bois sont en rumeur ; femmes, vieillards, enfans, accourent des villages voisins pour récolter la faîne. On étend sous chaque arbre de grands draps blancs, on secoue les branches à coups de gaule, et les graines anguleuses tombent comme une averse. La faîne est très savoureuse. Nos paysans en font de l’huile en soumettant les amandes, enfermées dans des sacs de toile neuve, à de lentes pressions. Cette huile, extraite à froid, vaut l’huile d’olive ; elle a l’avantage de se conserver pendant dix ans sans perdre de sa qualité, et elle sert à confectionner