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— Sais-tu, demanda Tristan, pourquoi de tout temps ce caractère de perfidie et de séduction a été attribué aux ondines ?

— Sans doute parce que tout danger renferme en lui je ne sais quel attrait inexplicable.

— Nenni ; c’est parce que pour nous tous, paysans ou lettrés, l’ondine est encore la plus exacte personnification de la femme : violente comme les flots du torrent, capricieuse et chatoyante comme un arc-en-ciel dans une giboulée de mars, perfide comme l’eau qui dort…

— Et avec tout cela attirante et irrésistible. Rappelle-toi les figures de femmes du Vinci et de son école : ces ovales allongés et encadrés de fines chevelures crépelées, à reflets changeans ; ces flexions serpentines du cou, ces lèvres spirituelles dont le sourire est en même temps une ironie et une promesse ; ces yeux longs, voluptueux, où sous des paupières demi-fermées s’allume. une lueur mélancolique et provocante… À mon avis, les ondines devaient être faites de la sorte.

L’entretien en était là, quand un bruit de voix venant du dehors a détourné notre attention. Par les fentes de la hutte, nous avons reconnu au bord du sentier le Grand Justin et Brunille, la fille du charbonnier. La petite sauvage avait fait un brin de toilette ; ses cheveux, retenus par un peigne d’acier, ne flottaient plus en désordre ; ils laissaient voir son profil fier et le brun rosé de sa joue. — Où vas-tu par un temps pareil ? lui demanda le Grand Justin d’un ton soupçonneux.

— Tu es bien curieux ! répliqua Brunille d’une voix âpre, avec une nuance d’impatience.

— J’en ai le droit, puisque tu seras ma femme dans dix jours.

— Savoir !.. Tant que tu ne m’auras pas mis l’alliance au doigt devant le curé, je ne te permettrai pas de me commander. — Et comme Justin, mécontent, grommelait sourdement : — Pourtant, reprit-elle, je ne t’en fais pas mystère, j’allais au village acheter du ruban rouge pour natter mes cheveux le soir de la fête,

— Afin que les gens te remarquent et que les forestiers te fassent danser, n’est-ce pas ?.. Mais nenni, Brunille, tu ne danseras qu’avec moi.

— Je danserai avec qui je voudrai, s’écria-t-elle en frappant du pied avec colère, et je valserai encore, si cela me plaît.

— À ton aise ! c’est moi qui n’irai pas à la fête, en ce cas.

— Ne te gêne pas, il y en aura d’autres qui m’y conduiront.

— Grand bien leur fasse !

— Hum ! murmura Tristan, je crois que cela se gâte.

— Tais-toi !