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à mort ; mais, les jurés ayant signé un recours en grâce, sa peine fut commuée en celle des travaux forcés à perpétuité. En ce temps-là, on n’avait encore supprimé ni l’exposition publique, ni la marque au fer rouge ; le 23 septembre 1829, Fleuriot fut extrait de la maison de justice, mis au carcan sur la place de l’Hôtel-de-Ville, flétri des lettres T, P., puis dirigé sur Toulon,

Alors commença pour lui une terrible vie d’expiation et de misère. Pourtant l’expression de son repentir était si poignante qu’elle émouvait même les argousins. Sa conduite ayant été exemplaire, sa peine, d’abord changée en détention, fut réduite à quinze ans. Il sortit de la maison de Clairvaux en 1845. Un soir de printemps, le notaire d’Auberive, qui revenait de Langres en voiture publique avec un voyageur vêtu d’une blouse de paysan, fut très surpris, quand on atteignit les bois de Montaubert, de voir son compagnon se pencher à la portière et soudain fondre en larmes. C’était Remy Fleuriot, pleurant à l’aspect des grands bois d’où sa jeunesse avait été déracinée par une si effrayante tempête.

Il s’établit avec son père à Germaine, non loin du val d’Amorey, et pendant sept ans les labeurs et les privations qu’il s’imposa comme une pénitence, son front sans cesse courbé, ses yeux rougis, ses cheveux blancs avant l’âge, firent une impression profonde sur les habitans de la commune. Son seul désir, mais un désir fiévreux qui le tourmentait jour et nuit, était d’obtenir sa réhabilitation judiciaire. Les magistrats et les gens influons du pays l’appuyaient, et on allait aboutir quand un obstacle imprévu menaça de tout entraver. Un condamné ne peut être réhabilité que lorsque les frais de sa condamnation ont été payés à l’état. Or, pour Fleuriot, les frais s’élevaient à quatre cents francs. — Quatre cents francs ! et il gagnait à peine quarante sous par jour ! — Le malheureux se désespérait, quand le juge de paix crut tout aplanir au moyen du biais suivant : tout débiteur de l’état, qui est insolvable et qui subit la contrainte par corps pendant le temps légal, se trouve par le fait de son incarcération libéré envers le trésor. Il ne restait donc plus qu’à avaler cette dernière amertume ; deux mois d’incarcération, et puis Fleuriot pourrait reprendre son nom d’honnête homme et respirer librement. Il consentit à tout, et le 11 novembre suivant fut écroué dans la prison de Langres ; mais quand il se retrouva dans cette geôle peuplée pour lui de fantômes terribles, quand il revit l’odieuse cellule où on l’avait jeté jadis, tout couvert encore du sang de sa Reine bien-aimée, il sentit que cette suprême épreuve était trop lourde pour ses pauvres épaules. Dans la nuit du 7 janvier 1855, le geôlier entendit un grand cri, suivi d’une plainte déchirante, et en ouvrant la porte de la cellule il vit que Remy Fleuriot était mort.