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brasier, et petit à petit nous liâmes connaissance. Les charbonniers sont gens peu expansifs et d’humeur défiante. Cependant, quand ils virent que nous nous intéressions sérieusement à leurs occupations, leurs langues commencèrent à se délier. L’offre d’un paquet de tabac acheva de les apprivoiser ; la petite, qu’on nommait Brunille, et qui d’abord s’était cachée dans l’embrasure de la loge, nous lança un regard moins farouche à travers les grands cheveux dénoués qui voilaient à demi ses yeux. Nous prîmes place sur les sacs, et je fis causer le vieux sur la cuisson du charbon.

— C’est une rude besogne, et capricieuse, dit-il en secouant les cendres de sa pipe ; d’abord il faut chercher un bon cuisage. abrité du vent et à proximité des routes forestières ; puis il y a le dressage du fourneau, qui est une opération délicate, exigeant de la patience et du savoir. Sur l’emplacement choisi, on compte huit enjambées ; c’est le diamètre du fourneau. Au centre, avec des perches fichées en terre, on ménage un vide qui servira de foyer. Les premiers bâtons ou attelles dont on entoure ce vide doivent être secs et fendus par quartier, le haut bout appuyé contre les perches. Tout autour, on place une rangée de rondins, puis une seconde, une troisième, et ainsi jusqu’à l’extrémité du cercle. C’est le premier lit ; il ressemble quasiment aux grandes toiles rondes des araignées d’automne. Sur ce premier lit, on en élève un second, qui se nomme l’éclisse, et on continue de la sorte, toujours rétrécissant les rangées, de façon que le fourneau tout entier prenne la forme d’un large entonnoir renversé. Le troisième lit a nom le grand haut, le quatrième et le cinquième s’appellent le petit haut. Le dressage terminé, il faut habiller le fourneau d’un épais manteau qui le mette à l’abri de l’air. On le couvre d’une garniture de ramilles sur lesquelles on applique une couche de terre fraîche, épaisse de trois doigts ; enfin on répand sur le tout le frasil, c’est-à-dire une cendre noire prise sur une ancienne place à charbon. Le sommet du fourneau étant resté à découvert, on y met le feu au moyen de broussailles et de charbons allumés ; le courant d’air s’établit, et le bois commence à brûler… Alors seulement, monsieur, viennent les vraies fatigues et les tracas du métier. Le charbon est comme un enfant gâté sur lequel il faut veiller jour et nuit. Quand la fumée, blanche d’abord, devient plus brune et plus acre, on bouche les ouvertures avec de la terre ; puis, douze heures après, on redonne un peu d’air. Le charbonnier doit toujours être maître de son feu. Si le charbon gronde, c’est que la cuisson va trop vite, et avec le râteau on applique du frasil sur les ouvertures ; si le vent s’élève, autre souci : il faut abriter le fourneau avec des claies d’osier. Enfin, après mille maux et mille soins, la cuisson s’achève. Le fourneau s’aplatit lentement, on l’éventre d’un