Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 5.djvu/536

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’inconscience en principe primordial duquel tout doit provenir, comment parviendra-t-on à faire jaillir la conscience du sein de l’inconscience ? Voyons l’essai de solution proposé par M. von Hartmann.

Les matérialistes ne se plaindront pas de lui. Il leur accorde tout ce qu’ils demandent. Le cerveau, les ganglions nerveux, sont la condition sine qua non de la conscience animale. Le cerveau est aussi nécessaire à l’apparition de l’idée consciente que le foie à celle de la bile, le cœur à la circulation du sang, l’appareil oculaire à la vision. Tout cela est admis par M. von Hartmann et reçu comme bon argent ; mais encore une fois tout cela n’explique rien. Étant donné le sang qui contient tous les élémens de la bile, je me représente fort bien qu’un organe faisant l’office d’un filtre sécréteur puisse extraire ces élémens du liquide qui pénètre ses tissus. Ce fonctionnement de l’organe est pour moi très obscur, et je ne suis pas en état de l’expliquer en détail ; cependant ma raison passe sans effort du terminus a quo, le sang chargé des substances qui feront la bile, au terminus ad quem, le liquide formé de ces substances enlevées au sang qui les contenait ; mais poser comme base d’explication le cerveau avec ses circonvolutions, sa matière grise et sa matière blanche, les filets nerveux qui s’y rejoignent, s’y entrelacent et s’y épanouissent, les vibrations continuelles auxquelles, paraît-il, tout l’appareil est soumis, puis me dire, en parlant de la pensée et de la conscience, qu’elles sont le produit de tout cela, franchement c’est trop compter sur ma naïveté. Qu’on me parle de concomitance ou de condition nécessaire, passe encore ; mais qu’on prétende identifier la pensée elle-même avec une vibration cérébrale, cela n’est plus sérieux. Quelle raison commune, au nom du ciel ! quelle analogie, quel rapport consubstantiel pouvez-vous imaginer entre une vibration et une pensée ?

Aussi M. von Hartmann ne s’en tient-il pas là, quand même il aurait peut-être aussi bien fait de s’y tenir. La conscience, selon lui, résulte de l’action de la matière organisée sur l’esprit inconscient. L’esprit individualisé est encore inconscient dans les premiers temps de son individualisation ; mais il arrive un moment où il est envahi par une idée qui s’impose à lui du dehors. Cet esprit individuel, jusque-là inconscient, se heurte alors contre ce phénomène inaccoutumé d’une idée pénétrant chez lui sans être voulue par lui ; elle éveille en lui une volonté déterminée dont la tendance est de nier l’intruse. Toutefois cette volonté est trop faible pour la nier, elle le sent, et voilà pourquoi le premier fait de conscience s’associe à un certain déplaisir, car l’esprit individuel inconscient est scandalisé de cette intrusion d’une idée qu’il voudrait et ne peut écarter. Telle est l’explication de la conscience… Nous