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d’actes instinctifs s’accomplissent dans la douleur, et comment expliquer de cette manière le premier accomplissement de ces actes qu’aucune expérience ne précède ? Voilà en effet le grand et admirable caractère de l’instinct ; c’est que dès la première heure, dès le moment précis de son éclosion, il est complet, sûr de lui-même, aussi ingénieux, aussi prévoyant chez les animaux inférieurs que chez les plus développés. Le mouvement compliqué de succion qui permet à l’enfant d’aspirer le lait maternel est merveilleux, mais pas plus que l’art avec lequel les larves du ver blanc se fraient un chemin vers les racines indispensables à leur alimentation. Tandis que nos actes voulus et réfléchis, dès qu’ils exigent un peu de combinaison et de dextérité, ne deviennent aisés que moyennant une longue série d’efforts, l’acte instinctif est aussi adroit, aussi bien dirigé la première fois que la dernière. Il est même doué à un haut degré de prévoyance, dans le sens, bien entendu, d’une prévoyance inconsciente de son but final. Les faits de ce genre abondent dans la nature animale, et en réalité toute génération rentre dans cette catégorie. La larve femelle du charançon, quand elle va passer à l’état de chrysalide, se creuse un trou précisément assez grand pour s’y blottir tout entière ; la larve mâle en creuse un deux fois aussi grand ; pourquoi ? C’est qu’il lui poussera des cornes d’une longueur presque égale à celle de son corps, et que la femelle n’en aura pas. Quel est le motif actuel qui a pu déterminer la larve mâle ? On a souvent observé que les furets et les buses se jettent sans aucune précaution sur les serpens non venimeux, tels que les orvets et les couleuvres ; s’ils attaquent une vipère, ils ont soin de la frapper d’abord à la tête pour ne pas être mordus. De même l’animal dans l’état de nature, s’abstient des fruits vénéneux, et on peut se servir du singe comme d’un dégustateur accompli quand on parcourt une forêt vierge et qu’on n’ose toucher sans précaution aux fruits inconnus qu’on y découvre. Avant toute expérience, les jeunes animaux reconnaissent leurs ennemis, et dans certaines espèces les mâles reconnaissent leurs femelles malgré la différence complète des formes. Par exemple, on peut citer des rhipiptères (ailes en éventail) qui vivent en parasites dans les écailles de la guêpe ; la femelle, qui ne vit que peu d’heures, n’est qu’une larve dont la tête, de forme lenticulaire, surgit seule entre deux écailles ; le mâle, qui ressemble à une mite, ne l’en reconnaît pas moins et la féconde par une ouverture située immédiatement sous sa bouche. Et quelle prodigieuse prévoyance dans les femelles d’insectes, depuis celles qui vont pondre sur les lèvres du cheval des œufs qui ne se développeront que dans ses intestins, jusqu’à celles qui mettent à la portée des larves qui leur survivront la nourriture dont elles auront besoin après leur éclosion ! Il y a dans l’instinct une